Burning Britain, Ian Glasper, chronique Punkulture n°3, 1er semestre 2016

Punkulture 3

Punkulture numéro 3, fanzine, 1er semestre 2016

CHRONIQUES LIVRES : No Future, et après ?

Un beau pavé !

Nous ne voulons pas d’un monde où la garantie de ne pas mourir de faim s’échange contre le risque de mourir  d’ennui. —  Raoul Vaneigem (1967)

Burning Britain ! C’est évidemment le nom du EP de Chaos UK sorti en 1982. Tout un programme ! Mais maintenant, c’est aussi un livre que viennent de publier les éditions Rytrut. L’auteur, Ian Glasper, un ancien de Flux Of Pink Indians, a sorti ce livre en 2004 en Angleterre parce qu’il aurait aimé le voir dans sa propre bibliothèque une attitude typique punk. Le résultat : une source incontournable de plus de 700 pages, abondamment illustrée de nombreuses photos, que Ian Glasper a en plus mis à jour pour l’édition française et américaine. Et il faut remercier ici l’énorme travail de traduction des éditions Rytrut.

Vous y trouverez plus d’une centaine de groupes qui ont émergé entre les années 80 et 84. Et parmi les plus reconnus, on peut citer : UK Subs, Disorder, GBH, The Business, The Addicts, Vice Squad, Peter and T. T. B., One Way System (en photo de couverture du bouquin pour cette version francophone), et plein d’autres évidemment, dont certains m’étaient totalement inconnus.

L’auteur est allé rencontrer des membres de chaque groupe et de chaque label pour les interviewer et retracer leurs parcours. Le tout donne alors une idée de l’effervescence explosive de ces années. Celles et ceux qui, à la fin des années 70, voulait voir le punk mort ont eu une bien mauvaise surprise : l’esprit Do It Yourself / Do It Ourselves étaient une véritable traînée de poudre dans tout le Royaume-Uni ; avec une multiplication de groupes, de concerts et de zines – dont on méconnaît l’impact de ces derniers, faute de transmission. Un à un, on suit les groupes dans leur évolution musicale, leur différent line-up, et leur reformation passée, ou présente, après plus de 30 ans. Car c’est bien connu : « Lorsque l’esprit du punk rock jette son grappin sur toi, il ne te lâche plus » (Glasper). J’ai particulièrement aimé en apprendre davantage sur Action Pact, UK Decay, Total Chaos, et découvrir qu’un ancien des Destructors jouait dans le groupe Prodigy, très précurseur alors.

C’est entre autre contre l’ennui que la spontanéité ravageuse et la sauvagerie juvénile battait son plein. Et on la mesure bien grâce à ce livre. On voit qu’il en fallait de la détermination et de la ruse pour accéder aux instruments et aux studios. On voit comment le fait d’être punk n’était pas de tout repos, qu’il fallait affronter une hostilité violente et dangereuse ; plusieurs membres de groupes témoignent des agressions subies et des guerres de territoires désolantes. On voit aussi comment les parents ont pu soutenir la démarche de leurs ados ; comment, par exemple, c’est la mère du batteur de The Insane qui prit le téléphone pour faire passer une audition à son fils, pour qu’il joue dans Discharge. Le livre regorge d’anecdotes de ce style, plus étonnantes les unes que les autres ; parfois marrantes – comme par exemple celle du canular qu’a été la création du groupe Chaotic Dischord – mais aussi parfois très pathétiques – comme celle où un gars interpelle le chanteur des Exploited sur l’orientation plus métal que punk qu’il obtient comme réponse un coup de boule, avec : « Et ça, c’est assez punk pour toi ? »… hmmm… pas vraiment constructif.

Le travail de Ian Glasper est bien plus qu’un recueil de souvenirs sur quelques années folles et glorieuses. Au contraire. Tout en montrant la créativité de la sous-culture punk, on y voit très rapidement ses limites. Son livre peut alors nous servir, aujourd’hui, telle une leçon pour éviter les erreurs et dérapages passés. Il s’agit d’appliquer un des enseignements du vieux barbu : « Celui qui ne connaît pas lhistoire est condamné à la revivre ». C’est en tous les cas en ce sens que j’aimerai que son livre soit aussi lu : comme un outil pour améliorer ce que nous faisons.

DEe sorte que dans le livre, la quantité écrasante de groupes de mecs, mâles bands, devrait aujourd’hui nous interpeller sur le machisme décomplexé qui sévit toujours dans la scène. On retiendra en particulier cette remarque de la chanteuse des Expelled pour expliquer son départ du groupe : « Marre (…) de tolérer autant de tripotages ». On retiendra aussi comment la dope à gangrené et détruit des dynamiques, des groupes et des personnes, avec son lot d’embrouilles et de décès. On retiendra comment une violence stérile aura sapé des initiatives d’émancipation. Comment le poids des majors et des médias en vogue ont cherché à faire de cet art brut qu’est le punk un produit aseptisé, commercial et totalement dénué de révoltes. Comment la créativité a été étouffé par un copiage-clonage des groupes propulsés sur le devant de la scène. Et enfin, comment la politique de l’apolitisme a offert une vitrine pour l’extrême droite.

En gros, s’il y a un livre sur le mouvement punk a acheter cette année, c’est bien Burning Britain – seconde vague punk britannique. Et on attend avec grande impatience la traduction du second livre de Ian Glasper, The Day The Country Died, qui lui, témoigne sur la contre-culture anarcho-punk. Rytrut a du pain sur la planche. Et il n’y a pas à tergiverser : pour que de tel bouquin existe, achetez déjà celui-là !

Lien pour un achat en ligne : http://www.rytrut.com/