Burning Britain, Ian Glasper, chronique Sylvaïn Nicolino, Obsküre Mag, juillet 2016

burning-britain-couvIan Glasper – Burning Britain / Seconde Vague punk britannique

par Sylvaïn Nicolino, Obsküre Mag, 19 juillet 2016

Voici quasiment 750 pages phénoménales sur la seconde vague du punk au Royaume Uni. Phénoménales car voici enfin la traduction de ce livre de Ian Glasper (Flux Of Pink Indians, Thirty Six Strategies…) unique en son genre et paru au départ en 2004. Phénoménales car le contenu a été actualisé en 2013-2014 pour PM Press et pour cette traduction chez Rytrut. Phénoménales car le traitement du sujet n’aurait pu être mieux fait, comme le montre le contenu : biographies individuelles et collectives pour chacun des cent groupes (environ) référencés ici, contacts mails, numéros de téléphones ou adresses (pour dénicher des démos ou des infos), interviews simples ou croisées, discographie complète et sélection du meilleur, présentation des rééditions, photographies inédites issues des collections personnelles et très souvent attribuées aux photographes malgré les années passées, index par patronymes, par groupes, par labels, bonus sur les labels et l’actualité du mouvement punk en Angleterre et ailleurs, liste des sites pertinents…

C’est colossal et pourtant ce pavé bien lourd garde sa fraîcheur du début à la fin et ne provoque pas de lassitude.

Les groupes sont rangés par grande région (est et sud-est / Pays de Galle / Londres…) et à l’intérieur de chacun de ces chapitres, se distingue un classement par affinités musicales et humaines. Pas de hiérarchie par ventes, influence ou longévité. Le parti-pris est bien humain avant tout et c’est pour cette raison que ce bottin n’est pas un abécédaire du punk de 1980 à 1984. Les marqueurs chronologiques sont souvent remis en question avec lucidité, interrogeant un esprit plus qu’un style ou des dates exclusives. Seuls quelques groupes de la mouvance anarcho-punk ont été laissés de côté (mais on en parle) en raison d’un engagement politique bien plus prégnant que leur dimension musicale (et ceci nécessiterait un livre à part).

Lire le livre dans son intégralité prend du temps, et pourtant, ça coule de source et c’est la technique de lecture que je conseille dans un premier temps – avant d’y revenir groupe par groupe, au hasard de ses découvertes musicales.

Lire d’un bloc cette somme donne en effet le tournis et c’est cet étourdissement qui permet d’appréhender enfin ce qu’on a appelé « vague punk ». Alors même que les musiques punk de 1970 à 1990 (globalement) me passionnent depuis bien trente ans, je n’avais jamais saisi à ce point le raz-de-marée que ce courant a représenté dans l’Angleterre des années 80. Je l’avais lu, évidemment ici et là, souvent de façon ironique ou nostalgique. Ici, il n’est pas question de nostalgie, mais d’énergie. On comprend, on voit naître, se densifier un mouvement implacable qui réunit des dizaines de milliers de jeunes gens dans tout le pays, qui les pousse à acheter, emprunter ou voler des instruments pour faire du bruit et gueuler contre tout ce qui les obsède. Dans le moindre patelin, des punks ont vécu et se sont regroupés pour organiser des soirées, enregistrer et presser des disques (et parfois aucun disque !), monter un label, prendre la voiture ensemble, dormir dans des trains à l’arrêt… changer la grisaille en noir bonheur. Les laissés-pour-compte s’assemblaient.

Lorsque Ian Glasper demande à chacun d’eux ce qu’il faudrait retenir de l’histoire de son groupe, ce qui revient le plus souvent, c’est cet apprentissage de l’autonomie, de l’indépendance et l’appropriation d’un rêve et du « fun » qui jusque-là semblaient hors de portée pour des chômeurs réduits à l’ennui et à la colle à sniffer. Chacun dans ce livre (et ils sont une foule, mieux : un peuple !) a grandi par le punk, a découvert ses possibles, a œuvré collectivement et a pris confiance. C’est une leçon impressionnante car derrière ces individus qui auraient dû être brisés, on a une lame de fond irrépressible qui a aggloméré l’une des lignes de résistance à Thatcher (mais pas que…). Cet aspect est primordial car il est le contexte d’une époque qui ne peut s’appréhender pleinement qu’avec cette longue lecture suivie du texte. C’est qu’il fallait cette myriade de petits groupes à côté des GBH, Discharge, Exploited (et aussi Peter And The Test Tube Babies, The Toy Dolls, One Way System, UK Decay, The 4-Skins, Anti-Nowhere League…) pour qu’il y ait un réel mouvement.

La lecture qui picore vient après : très imagée (les anecdotes du pire et du meilleur concert), très critique (chaque sortie est discutée, analysée en terme de sons, d’attitude, d’évolution vis à vis des voisins ou des productions précédentes et aussi en termes de paroles), très professionnelle (on y apprend tout l’intérêt d’une production et d’un mixage par rapport à des démos basiques), elle associe à chaque groupe des sous-genres musicaux, prégnants pour l’époque, même si perméables (et tant mieux !). On saisit pleinement le lien et la fusion entre le punk-rock des années 1976-1980 et le hardcore des origines, on (re)découvre la culture skinhead / oi ! fière de la classe ouvrière, on perçoit le lien entre foot et musique, si subtil et pourtant si essentiel en Angleterre ; on suit l’émergence du thrash-metal et sa collusion avec le punk (les tournées aux USA avec les rencontres Metallica ou S.O.D.) ; on sourit avec ces visuels d’Iron Maiden sur des posters ou des T-shirts.

De ces deux lectures (avant les suivantes, les partages, les échanges avec les copains et copines), tant de choses sont à retenir… Ma critique subjective est moins pertinente qu’une discussion, mais en ce mois de juillet, c’est celle que j’ai sous la main pour vous inciter à acheter et lire à votre tour Burning Britain.

Ce qui m’a marqué dresse une liste de reconnaissances avec ses propres fantasmes sur la scène punk : le jeune âge des membres de Court Martial (entre autres) qui leur interdisait d’entrer dans de nombreuses salles où ils devaient jouer ; ces groupes qui venaient avec leurs instruments et s’incrustaient sur scène, même non annoncés, juste pour jouer ; ces jeunes qui achetaient des guitares sur les catalogues de vente par correspondance de leur mère ; les foules amassées en concert (le 20 décembre 1981 au Queen’s Hall de Leeds ils étaient 10 à 12.000 dans le public pour voir un festival de quinze groupes sur une journée) ou lors de manifestations (la marche du 29 mars 1980 pour protester contre la fermeture du Eric’s Club à Liverpool) qui s’achevaient régulièrement en émeutes ; les groupes parfois ne sortaient qu’un seul 45 tours avant de se séparer mais chacune des faces était assez bonne pour en faire un double face A…

Que retenir vraiment au final, par-delà les petites épopées de chacun des groupes ? Que la force d’un collectif naît des aspirations d’un peuple : ce sont les charts alternatifs anglais, les journalistes Garry Bushell et le grand John Peel avec son émission radio, ce sont les rééditions au poil de Captain Oi ! et Anagram… L’histoire musicale ne s’est pas arrêtée là puisqu’on suit des parcours de musiciens qui jouent ou suivent de près Ministry, Morrissey, Prodigy, Johnny Marr, The The, Fields Of The Nephilim, Primal Scream, Oasis ou And Also The Trees… Les échanges, tout au long de ce livre passionnant, sont vifs, ciblant la quête ou non du succès, la visibilité d’une époque qui tourne vite et où la jeunesse s’envole ou se prolonge, la violence nécessaire, acceptée, goûtée ou rejetée.

Des vies sauvées par le punk.

Burning Britain, Seconde vague du Punk britannique, écrit par Ian Glasper
Traduit par Frédéric Jalabert, Nico Poisson, David Mourey et Ladzi Galaï
Publié chez Rytrut
http://www.rytrut.com

NB : pour les visuels de cet article, j’ai volontairement placé des images non présentes dans le livre ; c’est une façon de montrer que la lecture amène à faire ses propres recherches sur les événements marquants et que d’autres documents sont disponibles pour qui veut prolonger l’expérience.

La photo 1 montre la manifestation contre la fermeture du Eric’s Club.
La photo 2 du punk avec un perfecto peint aux couleurs de Crass a été prise à Leeds en 1981 par Helma Hellinga.
L’image n°3 est un flyer.