Zoë Howe – The Slits, Typical Girls? chronique Agnès Léglise, Rock & Folk n°602, octobre 2017

Chronique Rock & Folk n°602, octobre 2017

par Agnès Léglise

Injustice

Typical Girls?

L’Histoire des Slits

ZOE HOWE

Rytrut

Viendra bien le moment où même le rock, repaire machiste s’il en est, regardera en face sa propre histoire sexiste et réalisera à quel point cette injustice a pesé sur les carrière féminines du genre. Hé ouais guys, c’est pas simplement parce que les femmes seraient moins douées qu’elles dominent si peu la scène rock mais bien parce que le rock reflète étroitement le monde dans lequel il est né, monde en l’occurrence mâle et blanc oh ça alors, la plupart de ladite scène rock. La preuve ? La place modeste d’un groupe comme The Slits dans la légende dorée du punk démontre, à elle seule, l’incroyable mépris qu’on subi les femmes dans ces professions. Et comment je le sais ? J’étais là. J’étais parmi celles et ceux qui ne considéraient pas d’un même œil un groupe de filles – vous avez remarqué, un groupe de musiciennes, c’est un groupe de filles quand un groupe de garçons, c’est un groupe tout court ? – qu’un groupe masculin et qui jugeait à priori, avec la même condescendance, quasiment toute tentative exclusivement féminine, sauf celles qui jouaient avec assez de sexy pour amadouer les auditeurs et décideurs mâles, bien sûr. Le truc c’est que c’était même pas notre faute, on était tout simplement le produit de nos éducations et les héritiers de conditionnement centenaires. Ce qui n’est pas vraiment une excuse si on y réfléchit bien, vu que les jeunes Slits, pourtant nées dans ce même patriarcat triomphant, ont su d’instinct s’écarter du rôle et de l’image traditionnelle et en exploser les codes plus que quiconque avant elles. Les mémoires de Viv Albertine, chroniquées ici récemment avec enthousiasme, nous avaient déjà rappelé l’existence du groupe et le livre de Zoë Howe « Typical Girls ? L’Histoire des Slits » vient à point nommé pour réparer cette injustice. Car injustice flagrante il y a eu. Certes, les Slits ne savaient pas du tout jouer au début de leur carrière, mais la plupart de leurs congénères punk n’étaient pas plus aguerris sans que ce défaut leur soit à eux, fatal. Perçues comme d’incontrôlables punkettes, elles ont quand même survécu là où beaucoup ont disparu – ou pire – et ont pondu une œuvre méconnue, férocement féministe – quoiqu’elles s’en défendissent alors – plus riche et plus aventureuse que qusiment tous leurs petits potes pourtant mieux considérés. Notons que le showbiz, qui pouvait accepter les pires fantaisies punk ou les pires caprices de leurs stars mâles, était quand même hyper embarrassé par des jeunes filles qui osaient le culot obscène de s’appeler carrément les fentes, shocking au point que la BBC par exemple refusait de passer leurs titres pour ne pas avoir à dire le mot fente à l’antenne. Etre des femmes qui refusaient les codes, qui ne se rasaient pas les aisselles (sic) ou qui ne voulaient ni être sexy ni même suivre la mode ou les canons féminins quasi-obligatoires n’allait pas sans un prix à payer et le groupe, finalement, n’y résista pas. Le livre raconte non seulement leur histoire, souvent dans leurs propres mots car l’auteure, manifestement très fan, les a longuement interviewées, mais réussit aussi au passage à faire vraiment revivre de l’intérieur l’esprit punk et l’ambiance finalement assez bon-enfant de ces années-là.