Zoë Howe – The Slits, Typical Girls? chronique Sylvaïn Nicolino, Obsküre Magazine, juillet 2017

Zoë Howe – The Slits, Typical Girls?

par Sylvaïn Nicolino , 04 juillet 2017, Obsküre Magazine

Dans cette biographie enrichie de nombreuses interviews très bien découpées, l’importance des Slits, groupe de la première vague punk, est habilement démontrée, page après page. L’auteur Zoë Howe respecte fidèlement l’énergie et la particularité du groupe. Elle évite tous les pièges tendus : C’est quoi le punk ? C’est quoi le féminisme ? C’était comment Londres en 1976 ? Le music-business alternatif était-il mieux à cette époque ? Qui du Clash ou des Pistols a le plus marqué la musique ? Qui est devenu célèbre et à quel prix ? Doit-on pleurer ou sourire ? Qu’est-ce que ça signifie être grand public ?

Elles sont légions les questions que les Slits ont fait naître en quelques années seulement. Les réponses de Zoë sont dressées avec patience, laissant le champ libre aux interprétations, évitant le cadre rigide des réponses binaires.

Elle ouvre son livre avec une chronologie de l’histoire anglaise du temps des Slits, à savoir 1976-1981. C’est intelligent, car en quelques pages Zoë situe les contextes musical, politique, culturel et social de l’île et de ses habitants. Par exemple, il est primordial de savoir que ce n’est qu’en 1972 qu’avait été votée l’égalité des salaires hommes-femmes.

Dans les dernières pages ou presque, Zoë place une affirmation de la chanteuse Ari Up, maintes fois démontrée au cours des 322 feuillets qui composent le livre :

« C’était une trilogie – la naissance du reggae, la naissance du punk, la naissance du hip-hop, la Jamaïque, Londres et New York (…) il y a une solide connexion. »

On a ensuite droit à la traditionnelle discographie et la bibliographie érudite et souriante.

Entre les deux, rien n’est oublié : on a aussi bien les structures familiales de tous les protagonistes, leurs parcours musicaux avant, en parallèle, et après les Slits, les copains influents, les amis, l’entourage (le Pop Group, par exemple) qui ont permis cette éclosion lente et irrépressible. Chacun.e des membres des Slits était important.e, sa singularité composant avec celles des autres. On ne cesse, grâce aux visuels, de revivre les mois où Palmolive infusait sa culture hispanique, où Budgie lançait ses rythmes étranges, où Tessa manipulait sa basse comme une arme de persuasion massive, où Ari défiait le monde du haut de ses quatorze ans si fous et si assurés à la fois… Viv Albertine use sa mémoire en anecdotes précieuses et en exposant ses sentiments sur ces années si riches pour tou.te.s. L’iconographie met en valeur les looks travaillés des Slits, qui leur vaudront la reconnaissance des Madonna, Lily Allen et autres Chicks On Speed.

Londres vit alors par ses quartiers hindous, ses bars gays, ses disques reggae diffusés en 1976 puisqu’aucun disque punk n’était alors sorti et qu’il fallait bien passer de la musique entre les concerts. Les premiers punks ne sont pas les affreux jobards tant décriés, mais des jeunes gens, artistes dans l’âme, rebelles et souriants. Bob Marley vient y frotter ses dreads, attiré par les punky reggae party, s’offusque de la possibilité que des femmes se lancent dans une fusion rastafarisme-punk. Les membres de Clash se font philanthropes, Sid Vicious souffre du regard acéré que les femmes posent sur lui et sur son attitude si affreusement sexiste : provocation punk ou tout bonnement reflet lucide et sincère de celles qui l’avaient côtoyé ?

D’autres sont ramenés à leur place décisive : Keith Levene, les garçons du Clash, le label Island Records (lequel sortira aussi Tom Waits, autre dissident notable), Louisa Marks et son apport au Lovers Rock, Adrian Sherwood dont la pertinence a fait l’objet d’une double rétrospective l’an dernier, Neneh Cherry, Dennis Bovell et son écoute constructive, même Siouxsie Sioux dans ce qui a pu la différencier des Slits, ce groupe passé dans l’ombre de celle qui bouffa les appareils photos des journalistes avides de sensations plus facilement digérées…

Les Slits ont marqué leur époque et ceux et celles qui les ont croisé.e.s, certes parce qu’elles étaient des filles-femmes dans un monde de brutes, mais surtout – et c’est là qu’est la force de ce livre – parce que les Slits étaient un putain de bon groupe. Pas de stars dans les Slits, tou.te.s ayant eu un rôle moteur. Les nombreuses photos issues de collections privées illustrent et racontent la carrière, mais, en dépassant le cadre strict de 1981, elles éclairent sur les vies individuelles, les personnalités. Les regards de Tessa sur cette Odyssée au sens propre, sans île où atterrir si ce n’est celle des besoins de chacun.e.s, la grossesse et la mort récente d’Ari, le départ de Palmolive qui rejoint les Raincoats : voir ce que chacun.e est devenu.e, c’est une bouffée d’espoir qui vivifie, malgré la séparation et avant la reformation des années 2000. Ajoutons aussi que plusieurs membres des Slits ont été végétarien.ne.s dès cette aube des années 80.

Le féminisme est approché avec des nuances toutes libertaires, les protagonistes refusant l’étiquetage, quel qu’il soit, comprenant les luttes des femmes et y participant par leur rôle leader (combien de fois n’a-t-on pas cité cette influence dans les milieux rock depuis les années 80 ?), accusant les coups de couteau réels ou figurés reçus tout au long de leur courte et courageuse carrière, tout en rejetant le communautarisme et le jeu des cases que pouvait être l’affabulation d’un logo « Women in rock ». Un groupe également capable de craquer tout l’argent débloqué par leur label pour assurer à leurs invités des conditions de tournée optimales…

Leur disque Cut est présenté plage par plage, incluant les séances d’enregistrement au cottage de Ridge Farm, avec en bonus des informations rares sur les messages et astuces cachées dans les pistes. Les trois Peel Sessions et le reste de la discographie bénéficient de la même attention, poussant à s’accaparer l’ensemble des disques des Slits ou de leurs participations aux disques des autres.

Tout est fait pour transmettre pleinement ce qui fut leur force. Une action restée intacte dans cette façon d’être complètement maître de son art, d’oser avancer et se métamorphoser incessamment, d’être en première ligne, sans y penser, précurseurs tout en édifiant des partitions complexes et imprégné.e.s de leur époque au point que les Slits ont résisté au passage du temps. C’était ça le punk, cette liberté intransigeante comme un bras d’honneur adressé à soi et aux autres. En avant toute !

Un fabuleux livre de plus pour Rytrut.

RYTRUT, ISBN 978-2-9546441-3-4

Auteure : Zoë Howe
Traduction : Ladzi Galaï, Lydie Barbarian
Format 15 x 21 cm, 324 pages,
Inclut 72 photos, 1 marque-page
et trois badges si vous achetez sur le site de l’éditeur

« Soyez sociable, partagez ! »