Interview Rytrut, par Rémi Jimenez « Renforcer la Sécurité » webzine, juillet 2007

Interview de LADZI GALAI de RYTRUT éditions par REMI JIMENEZ,
Parue dans feu le site web « RENFORCER LA SECURITE »,
29/07/2007

Crées en 2003 par Ladzi Galaï, les éditions Rytrut se consacrent à l’éditions d’ouvrage sur les musiques indépendantes, et notamment le punk. Trois ouvrages ont déjà parus : La Philosophie du punk (2003), les Chansons d’amour de Crass (2005) et l’intégrale des paroles de Trespassers W (2007). Interview de Ladzi :

Bonjour ! Qui es-tu ? Qui est Rytrut ? Et qu’est Rytrut dans ta vie ? Parviens-tu à en vivre ? Et d’abord, ça veut dire quoi, Rytrut ?

Un diminutif de Rythme & Rut, le rythme de la vie ou de la danse et caricature du rituel animal des préliminaires de la reproduction, qui se matérialise par la fête pour les rencontres chez les humains. Je suis un quadragénaire issu de la classe ouvrière. J’ai fait des études secondaires en mécanique générale, puis obtenu un CAP de maçonnerie, suivi plusieurs formations, travaillé dans différents secteurs, usines métallurgiques comme monteur, usine informatique comme cariste et gestionnaire de stock, bâtiment, techniques du spectacle, et d’autres boulots. J’ai étudié la musique classique plus jeune, pratiqué le piano et la trompette, et le punk m’ayant interpellé à l’adolescence, j’ai rompu avec la filière traditionnelle pour apprendre la basse et la guitare en jouant sur des disques. J’ai commencé à écrire des chansons et à jouer dans des groupes en 1982. Je vivais dans un quartier de « banlieue rouge » de l’agglomération grenobloise, ma mère était institutrice et mon père permanent syndical à la CGT. J’ai baigné dans la lutte de classe, tout en ayant une relation particulière avec la nature, vu qu’avec les gamins du quartier, on allait se promener et jouer dans la forêt (le quartier étant au bord de l’urbanisation, au pieds des collines). En famille on allait souvent en montagne et on partait en vacances. Je n’ai pas fait l’armée mais les colonies de vacances, ça vous apprend à connaître la nature humaine en collectivité. La bande de copains était bon enfant. Je n’ai jamais connu l’ennui, traîné dans les quartiers à ne pas savoir quoi faire d’autres que des conneries. Je me suis reconnu dans une flopée de groupes issues des scènes punk rock, dans le sens ou ça correspondait à l’ouverture d’esprit dont je semblais avoir été doté, et aussi au fort sens de la dérision qui semblait animer ma vie. L’influence du punk rock était alors vraiment marginale dans mon environnement, la plupart des jeunes du quartier étaient branché disco, et suivaient le sillon pour trouver leur place dans la société en se valorisant par le travail, plus que par l’artistique ou toute activité ne « payant pas son homme », et par la pratique de loisirs.

Comment t’es venu l’idée de créer Rytrut ?

En 2003, une suite logique de mon évolution personnelle me mène à l’édition. En 1983, on a commencé par un fanzine, appelé Inquiétude, puis Noire Inquiétude suite à la fusion avec un autre fanzine, Noire Vision ; avec l’équipe du fanzine on avait organisé un festival avec notamment Bérurier Noir et Ausweis. En 1985, on a créé un label de cassettes de home music actif dans les réseaux du mail art, nommé R.R.Products (Rythme & Rut). L’idée de base du punk n’étant pas de reproduire des models mais de faire son propre truc, on s’est intéressé aux musiques nouvelles, aux prémisses de la musique électroniques, tout en ayant une sensibilité rock’n’roll et punk rock, on a sorti des musiques pouvant se définir comme post-punk, sans pour autant être réduites à une étiquette. Avec R.R.Products, on a aussi édité des fanzines graphiques en parallèles à des compilations à thème. Niveau littérature et arts graphiques, j’étais notamment intéressé par la période dadaïste. Le roman de 1935 de Louis Guilloux, Le Sang noir, m’ayant fortement touché, j’ai utilisé le pseudo Cripure pendant plusieurs années, pour la musique, l’écriture, et un peu le dessin que j’ai un peu pratiqué. Pendant des années, j’ai donc fait différents boulots, tout en faisant de la musique durant mon temps libre, et j’ai pu financer les projets et acheter du matériel principalement grâce à mes salaires du travail. La musique ne m’ayant jamais fait vivre, j’ai fini par me retrouver au RMI., lassé de travailler pour d’autres. En 1996, j’avais lu une chronique du livre The Philosophy of Punk, alors que je vivais à Londres où j’ai bossé pendant quatre mois. En 2001, je tombe sur le livre en France, et en cours de lecture, j’écris à son auteur, Craig O’Hara, pour lui proposer de le traduire, et c’est ce qui déclenche les éditions Rytrut. Mais l’idée de traduire des paroles de chansons avec l’objectif de les éditer est née en 1995, quand j’ai commencé à travailler sur les paroles du groupe néerlandais Trespassers W.

Est-ce qu’il t’a été difficile de passer de « l’idée » à la réalisation de ce projet ? Démarches administratives, problèmes financiers, question des droits d’auteurs, etc… j’imagine que tout ça n’est pas simple à gérer. Tu as été formé ou tu as tout appris sur le tas ?

Sur le tas. Je suis autodidacte, et toutes les expériences précédentes sont formatrices. Rien ne tombe comme ça, l’évolution est bien une suite logique. J’ai toujours eu un esprit analytique et critiques des contemporains rencontrés ou observés dans le monde du travail et dans la vie courante. Le fanzinat et le label underground de cassettes m’ont amené beaucoup d’échanges. J’ai participé à la programmation d’un squat la saison 2004/2005 à Grenoble; ce qui m’a appris qu’en dehors de l’utopie ou d’un certain idéalisme, on retrouve des comportement similaires dans tous les milieux. L’Humain est très inspirant. Il y a toujours et partout, des gens sur qui on peut compter, qui vous enrichisse, et des enfoirés de première, prêts à tout faire foirer, à saper votre travail.. Au niveau technique, je me suis fait conseiller, associé à des professionnels, et me suis récemment mis à la mise en pages à l’aide d’un bouquin pour tendre à être encore plus indépendant. Les démarches administratives ne sont pas ce qu’il y a de plus marrant quand on fait dans l’artistique, mais quand il nous faut passer par là, c’est juste des formalités qu’il ne faut pas vivre comme des contraintes. Au niveau finance, je suis parti du point zéro. J’étais Rmiste, aucun budget. J’ai fait un emprunt bancaire qui n’était pas suffisant pour financer le premier tirage de La Philosophie du punk. Il existe des structures d’aide à l’édition, j’ai donc écrit au Centre national du livre, et soumis le manuscrit. Il m’a été octroyé une aide remboursable de 1450 €, j’ai donc eu assez pour payer l’imprimeur. Ce n’est pas une « vraie » subvention vu que c’est à rembourser. Mais il ne faut pas cracher dans la soupe quand on vous accorde un intérêt qui vous permette de diffuser vos idées. Tout projet doit être financé, qu’il le soit par votre propre emploi dans la société, que vous soyez ouvrier ou fonctionnaire, que vous payez vos impôts ou que vous ne soyez pas imposables, ou que vous trouviez des collaborateurs pour partager les frais. Les droits d’auteur sont une chose normale quand on diffuse le travail de cet auteur. Ceux fixés par Rytrut sont de 10 % du bénéfice, ce qui semble être supérieur à ce qui se pratique dans l’édition. Pour l’instant, il n’y a que Craig O’Hara et AK Press qui les touchent (il les avait laissé à Rytrut sur les 1000 premiers exemplaires vendus, pour nous soutenir). Les frais des deux livres d’après, Crass et Trespassers W, ne sont pas encore couverts. Je ne me paye pas en tant que traducteur, et pour tout le boulot fourni pour la diffusion, etc. Le but n’étant pas le profit, tous les bénéfices sont réinvestis sur les projets suivants. Le but est la diffusion des idées. Qui s’imagine qu’on peut faire du profit avec le punk ou autre expression underground vit dans une complète utopie. Il ne faut pas mélanger les notions. Et comme le dit cet aphorisme « il n’y a pas de sot métier, il n’y a que des sots tout court » . Si par la suite j’arrive à vivre de l’édition, à m’assurer au moins un salaire à mi-temps, ce sera tout à mon honneur. Je ne travaillerai pas pour d’autres, ne toucherai pas mon salaire de fonctionnaire ou autre me permettant de financer mes projets tout en me réclamant du DIY (ce qui n’est pas foncièrement critiquable en soit, mais dans ce cas là, autant l’afficher ouvertement et cesser de jouer au misérabilisme). Je le vivrais pleinement et honnêtement. Je ne compte pas le temps dépensé pour Rytrut. C’est quasi tout mon temps, j’ai même dû mettre la musique en stand-bye pour l’instant. Je me donne pleinement. Je crois en ce que je fais, en essayant de ne pas me compromettre avec la mesquinerie et les idées reçues qui bouffent le cœur derrière la façade.

Les éditions Rytrut ont un statut d’association loi 1901, sans subventions. Pourquoi avoir choisi le statut d’association ? Est-ce plus pratique, plus facile ?

Rytrut est la suite logique de Rythme & Rut, qui est une association de loi 1901 depuis 1988. Comme expliqué plus haut, j’ai auparavant financé l’activité de diffusion musicale, cassettes et Cds par les boulots que je faisaient en parallèles. Il n’y a pas de profit, donc pas d’impôts, ce ne serait pas gérable, vu qu’on fait dans l’édition à petite échelle. Je suis sorti du RMI en 2005, grâce à un contrat aidé. Je suis donc l’unique salarié de l’association. Commencé par un CAE à 35 heures au SMIC, poursuivi par un contrat d’avenir à 26 heures. L’aide au salaire de ce contrat par le CNASEA est dégressive et sera définitivement close à l’automne 2008. Comme Rytrut a un salarié, j’ai aussi les charges de bases employeur, qui tournent autour de 1000 € tous les trois mois. Je reste parmi les gens considérés comme vivant en dessous du seuil de pauvreté, et pourtant je m’accroche au navire. Je ne suis pas gourmand, ne suis pas un requin, je suis modeste et économe.

On peut lire à la quatrième page de La Philosophie du punk la mention « Ouvrage publié avec le concours du Centre nationale du Livre ». En quoi a consisté ce soutien ? Comment es-tu parvenu à le décrocher ? N’as-tu pas peur que les grands inquisiteur du punk, toujours prêts à donner des leçons d’éthique Do-It-Yourself et à distribuer des bons points, te le reprochent ?

Suite au geste du CNL, l’aide remboursable pour démarrer l’édition, comme expliqué plus haut, il était convenu que cette phrase apparaisse dans le livre. Cette avance financière correspondait à un quart du devis de l’imprimerie. Le DYI est peut-être devenu un mot à la mode, mais nous avons toujours fonctionné avec ce principe, le do-it-yourself, le bricolage, faire avec les moyens que l’on a, où que l’on parvient à se donner, hors du contexte des multinationales et des grandes firmes. L’argent est un moyen pas un but. Si certains s’avisent à me reprocher quoi que ce soit, je pense qu’ils sont à côté de la plaque. Est-ce qu’ils ont montés leur propre imprimerie, propre fabrique de pressage, d’où tiennent-ils les revenus pour financer leurs projets ? Que finance une partie de l’argent quand ils sortent des CD, même quand ils achètent des CD vierges ? Ceux-là feraient mieux de se marginaliser complètement, d’arrêter tout lien avec le monde moderne, et se retirer dans des lieux où ils devront fabriquer leur propre électricité, distribution de l’eau, etc., et cesser de s’afficher sous une éthique qu’il utilisent comme une barrière. Je méprise l’hypocrisie latente et sectaire de surcroît. Je me méfies des clans, des foules, des masses, des effets de la médiocrité, des moutons parqués dans la prison de leur cerveau. Mais j’apprécie les gens positifs. Et les ragots de basse-cour émanent souvent de personnes qui font de mauvaises interprétations et qui se croient dans le vrai. Même si elle s’en défend, la scène ne manque pas d’arrivistes prétentieux, qui freinent les choses plutôt que de les soutenir. Je n’en connais qu’une infime partie alors j’ose espérer que ce ne sont que des cas isolés qui se vautrent dans la mesquinerie. Quand cela se produit, c’est dommage, mais c’est à l’image d’un modèle de société qui peut se reproduire même chez les plus récalcitrants, et c’est pour ça qu’il y a des limites à « l’unité ». Quand on a conscience de cela, on devient intouchable, c’est à dire que les bassesses humaines se transforment en inspiration quand on fait de la chanson, et un exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Ce qui est parfois nommé comme la « police du punk » est un leurre. Je crois en la sincérité, pas au calcul de castes, quitte à en perdre des plumes.

Pour le moment, Rytrut publie essentiellement des traductions. Est-ce un choix délibéré ? Comptes-tu publier des œuvres originales ?

Oui, c’est un choix, peut-être une ligne éditoriale, car il s’avère que je baigne depuis longtemps dans la culture anglo-saxonne davantage que dans la culture française, même ci celle-ci me m’est pas indifférente, puisque j’en fait aussi partie. Aussi, Rytrut est tout petite, y a pas de personnel, je me tape presque tout, avec l’aide de quelques amis, et de collaborateurs sur les projets. Par exemple sortir des bouquins de traductions de paroles anglo-saxonnes est utile pour la « communauté » et pour s’ouvrir aux autres qui vivent dans d’autres univers et qui ne sont pas foncièrement recroquevillées dans leur coquille. Le but étant la diffusion des idées, à nouveau. C’est un acte de générosité. Publier des œuvres originales serait envisageable par la suite, mais pour l’instant, vu la charge de travail, j’essaye de mener projet après projet. Je ne peux aller au rythme d’une plus grosse structure, et fonctionne évidemment aux coups de cœur.

Rytrut est-il un « éditeur musical » ? Penses-tu continuer à publier des ouvrages en rapport avec la musique ou ouvrir ton catalogue à d’autres domaines : littérature, sciences sociales, thèses de mécanique quantique, essais sur la démographie yéménite par la statistique, l’analyse de graphe et l’étude de réseaux ?

Tes énumérations dépassent mon niveau de connaissances, mais comme tous les curieux, je suis avide d’apprendre [NdRLS : c’était pour rire !]. Je me considère toujours comme un amateur dans les domaines que je pratique, donc je fais forcément des erreurs mais suis à l’écoute des conseils me permettant d’évoluer. Oui, les ouvrages en rapport avec la musique sont le moteur de Rytrut. Et la musique devrait sûrement être le moteur des ouvrages qui seront publiés par la suite. Mon ami Lobo, un acolyte du fanzine Noire Inquiétude, et ensuite de R.R.Products, avec qui j’avais formé les Dirty Husbands en 1987, vit en Espagne depuis 7 ans, où il a monté un studio d’enregistrement. Il est venu en visite récemment, et il est question que nous ressortions des cassettes albums en CD, en créant la branche musicale de Rytrut, redonnant vie à R.R.Products ; bien sûr nous avons toujours des moyens limités. Enfin l’idée suis son cours. Les deux premiers trucs qu’il se charge de remixer sont les Dirty Husbands et Hermaphrodisiak, un autre duo auquel j’ai participé. Le webmaster de notre site viens de mettre une page d’infos sur la discographie de Trespassers W, et comment commander les disques disponibles. Le groupe n’est pas très connu en France, c’est donc risqué de sortir un livre de leurs textes, car beaucoup ne s’intéressent qu’à ce qu’ils connaissent déjà. C’est un groupe post-punk qui n’a pas hésité à s’exprimer dans d’autres univers. À mes yeux, ils sont peut-être davantage un groupe punk que d’autres groupes soi-disant « punk », parce qu’ils ne s’en revendiquent pas, et font leur truc sans se cacher derrière une étiquette parfois galvaudée. Les paroles de Cor Gout sont fortes et personnelles, sans tomber dans des clichés qui se répètent sur la volonté de changer le monde. Trespassers W sont cités dans le livre de Joe Carducci, Rock and the Pop Narcotic, publié chez 2.13.61, l’édition d’Henry Rollins, en 1990 et 1994.

Ton « public », j’imagine, est surtout le milieu punk et les scènes musicales indépendantes. Tu travailles avec des distributeurs (Alize-SFL et le Celf), cela te permet-il de toucher d’autres gens, d’autres sensibilités ? Fonctionnes-tu également avec les réseaux de diffusion du mouvement punk, distros indépendantes (et clandestines), tables tenues dans les concerts, etc. ?

On travaille avec toutes les bonnes volontés. Bien sûr les deux premiers livres intéressent plus particulièrement le milieu punk, et aussi parfois des personnes ne connaissant pas ce milieu, ce qui est plutôt une chose encourageante (sortons des ghettos !). Je ne vis pas dans un ghetto, mon cerveau n’est pas un ghetto. Je me donne les moyens d’être libre de mes choix. Oui, le punk fait partie de mes passions, et ses dérivés aussi. Le « public » de Rytrut est principalement un public de passionnés par le punk, c’est indéniable. Mais notre objectif et aussi de mieux faire découvrir cette culture à des personnes qui n’en connaissent que les stéréotypes, et non ses variantes. Et c’est chose ardue, mais quand cela se produit, ce n’est pas vain. L’état d’esprit et la créativité m’intéresse plus que l’éthique, les apparences et les faux-semblants. Nous éditons des livres, il y a un ISBN, les ouvrages sont référencés chez Electre, l’annonceur des libraires. Donc tous les libraires français sont informés de la sortie des livres, libre à eux de les commander ou pas. Jusqu’à maintenant les distros indépendantes nous ont été d’un grand soutien, surtout pour la diffusion de La Philosophie du punk, et ils ont leur pourcentage comme tout libraire, on leur rends la monnaie en continuant de bosser sur d’autre projets. Chacun y trouve son compte. Ces derniers temps, les commandes de distros indépendantes, agissant parfois avec des tables de presse à des concerts, se sont calmés. Cela m’interroge, il y en a sûrement qui s’imagine qu’on se fait des couilles en or ! (« alors qu’on mange des nouilles encore » dixit Mounir, journaliste au Courrier de Genève). Mais ceux-là se mettent le doigt dans l’œil. De plus la concurrence et la compétition est peut-être présente à l’esprit de certains, mais n’entre pas du tout dans notre fonctionnement. La Fnac nous boycotte. Cela pourrait toucher un plus large public s’il en prenaient dans leurs rayons. La question n’effleure même pas les plus réacs, qui préfèrent que les informations tournent en cercle fermé. La Société Française du Livre (Alize-SFL) est un intermédiaire entre le libraire et l’éditeur, elle ne prend pas de pourcentage à son compte, c’est un outil pratique, un outil de soutien. La plupart des commandes de librairies (Fnac comprise quand ça arrive, mais rarement) sont à l’unité. C’est le client qui va chez sont libraire pour commander le livre. La SFL est moins gourmande que les diffuseurs, qui prennent 50% de remise car il faut bien qu’ils fassent leur marge en plus de la remise libraire. Même les diffuseurs indépendants demandent 50%, mais on ne peut pas se le permettre, le budget est trop serré. La notion de distributeurs est différente. Quelques librairies et disquaires continuent de nous commander des livres par petites quantités, car ils sont concernés, mais peu nombreux. Le Centre d’Exportation du Livre Français (CELF) ne prend aucune remise sur ses commandes, son objectif est de proposer les livres à l’étranger. Par la suite, on peut avoir des commandes de l’étranger. Le Celf est un organe de la culture positif, qui n’a rien à envier aux alternatifs. Il faut cesser les petites gé-guerres systématiques contre toute institution, au risque de devenir la pire institution marginale, refermée sur elle-même, tout ça par frustration de ne pas voir ses produits plus largement diffusés. Est-ce que vos produits souterrains intéresseraient le consommateur de supermarché, qui s’y rends pour acheter la dernière promotion de TF1 et consorts ? Alors !

Quelle proportion des livres vendus te sont commandés directement par les lecteurs (sans l’intermédiaire d’un distributeur et d’un libraire) ?

Il faudrait que je compte, mais je dirais environ un tiers. Nous avons besoins des distributeurs indépendants pour vivre, sous quelque forme qu’ils soient. Bon nombre de librairies du courant dominant sont loin d’avoir intégré le punk comme un outil culturel, malgré la médiatisation du mouvement qui a évolué ces dernières années en France. Et si les distributeurs indépendants ont aussi besoin de nous pour vivre (les éditeurs indépendants), c’est qu’ils sont encore dans le DYI qu’ils défendent ; ou alors ils s’en fichent car ils ont d’autres sources de revenus pour exister. Mais après faut pas nous la raconter.

Rytrut est un éditeur indépendant, espèce en voie d’extinction. As-tu des rapports avec tes semblables français et étrangers ? Je pense notamment à des éditeurs anglo-saxons qui sont sur le même créneau (punk, anarchisme, etc.) comme AK Press ou Exitstencil Press.

Bien sûr, je suis en contact avec les éditeurs anglo-saxons avec qui nous travaillons. AK Press reçoit les droits d’auteurs de La Philosophie du Punk, à hauteur de 5% pour l’éditeur et 5% pour l’auteur. Je reçoit leur catalogue, ils sont incroyablement productifs et actifs, et ce n’est pas non plus facile pour eux par les temps qui courent. Exitstencil Press est le nom éditorial de Crass, aussi édité par AK Press. Nous avons travaillé avec Pomona pour Chansons d’Amour. J’ai forcément plus de rapports avec les éditeurs avec qui nous travaillons. En France, il y a ACL, qui nous ont soutenu en diffusant La Philosophie du punk dans leur catalogue. Je les avais rencontré quand le livre était en projet, puis j’ai finalement crée Rytrut pour le sortir, car c’était une bonne introduction pour commencer l’édition.

En tant qu’éditeur et traducteur avec une culture anarcho-punk, comment vois-tu le copyright ? Que penses-tu des alternatives à cette « propriété intellectuelle », comme les Creative Commons, copyleft ou licenses Art-Libre ?

Je n’ai pas une culture rectiligne, et spécifiquement anarcho-punk, même si j’y suis fortement sensible et investi par la diffusion de nos livres. Mais je ne prends pas les sens unique à contre-sens pour autant. J’espère avoir une culture beaucoup plus large [NdRLS : Encore heureux, parce qu’une culture « anarcho-punk » seule n’irait pas bien loin]. L’humanité est vaste, les différences entre les gens sont nombreuses, mais il y a aussi beaucoup de points communs. Je garde toujours en tête que la lutte continue contre l’asservissement du plus grand nombre pour quelque élus, et tous les désastres engendrées dans le monde, et aussi à côté de chez vous. Mais je ne prophétiserait rien qui ne soit que des paroles non mises en action. Sinon je me serais engagé en politique depuis longtemps, mais j’ai choisi de faire passer mes idées avec des chansons, souvent dérisoires, avec légèreté et dérision. À chacun sa manière. L’édition est un autre moyen. La propriété intellectuelle, je n’en penses pas grand chose, ne me suis pas trop penché sur la question. On a mis le copyright dans nos livres. Les auteurs sont libres de prêter des extraits de leurs textes ou pas à d’autres publications. Il n’y a généralement pas d’inconvénients à ce que ce soit autorisé, mais la politesse, ça s’apprend avec l’éducation. Crass ont même poussé la farce jusqu’à mettre dans l’ours la longue phrase contre le piratage sans autorisation de l’auteur ou de l’éditeur. Cela a du irriter pas mal de conformistes ou d’esprits obtus. Une moquerie de plus à leur répertoire. On en rit encore dans les chaumières, ou on s’en mors les doigts. Que se dérident les culs serrés !

Si tu devais décrire tes livres, qu’en dirais-tu ?

Je dirais que jusqu’à présent ce ne sont pas mes livres. Ce sont les fruits d’un travail collectif, même si je suis le plus investi. Après, il y a des chroniqueurs qui se chargent d’en parler, c’est leur boulot. On a eu quelques problèmes avec les imprimeurs, pas évident d’être au four et au moulin. Rytrut est un jeune éditeur, on a fait des coquilles, on tente à s’améliorer, passer du fanzinat à l’édition est un vrai travail. On a pas la science infuse, mais on croit en ce qu’on fait.

Quelle est l’actualité des éditions Rytrut ? Quels projets en perspectives ? Quels souhaits ? Quels rêves ? Quelles utopies ?

On travaille toujours sur le livre des paroles de Jello Biafra, c’est assez pointu, mais on va faire ça bien. Il est question de s’associer avec FZM pour le financement. On a aussi commencé la traduction d’un autre livre sur le punk, le premier d’un auteur qui a récemment créé sa propre édition, surprise ! Et aussi sur un autre livre de Crass, incorporant tous les textes insérés dans leurs disques, un complément au livre de leurs paroles. Bref, il y a un taf énorme en traduction. On peut souhaiter avoir les moyens de continuer ce périple, sans cesser de recevoir le soutien de la scène, du public, des gens qui ont du cœur à l’œuvre et dans la vie. Et on taf, et on taf, pour que les projets ne tardent tout de même pas trop à voir le jour. C’est fini les grandes vacances !