Rytrut éditions, interview par Buanax, Slime Zine n°4, janvier 2012

Interview de Rytrut éditions par Buanax

 Slime Zine n°4, janvier 2012

slimezine4coverÇa a débuté par quelques échanges de mails, puis des commandes de livres. Depuis que je corresponds avec Thierry aka Ladzi Galaï ou encore Cripure, l’évidence de lui proposer une interview s’est imposée d’elle-même, surtout que cet activiste de la première heure a un paquet de choses à raconter et n’a pas sa langue dans sa poche…

Buanax : Qui es-tu ? D’où viens-tu ? Que peux-tu nous dire sur ton enfance et ton adolescence?

Ladzi : Le mec normal qui a passé son enfance dans le quartier d’une ville de l’agglomération grenobloise tout prêt des collines et a commencé la musique à sept ans en étudiant le piano, puis la trompette, et peu après s’est mis à la basse avant de jouer dans un groupe.

Buanax : Parle nous de tes premiers frissons avec le Punk et avec la musique en générale. Quels sont les concerts qui t’ont marqué à vif ?

Ladzi : A dix ans, sans compter la musique classique que j’étudiais à l’école, j’écoutais les cassettes de mes parents, dont Bob Dylan, Marie La orêt, Rika Zaraï, Fernand Raynaud. A douze ans, mes cousins m’ont fait découvrir le rock, les Stones, Led Zeppelin, Aerosmith, Deep Purple, et donné l’album reprises de Bowie, Pinups et On the Level de Status Quo. J’ai beaucoup écouté ces derniers gamin, ce qui ne veut pas dire que je suis spécialement fan de tout ce qu’ils ont fait. Puis le punk est arrivé. Les deux premiers disques que je me suis offert en 1977 sont l’album des Pistols et une compil des Stones avec mon morceau préféré d’alors, Come On. Au même moment, une tante m’a offert un disque d’Elvis Presley, mais j’ai pas accroché ; plus tard c’est Eddie Cochran qui m’accrochera dans le genre, vraiment original dans le contexte de l’époque. Ont suivi les Clash, Blondie, Generation X, et toutes les découvertes que je pouvais me payer avec mon argent de poche, avec trente francs, ça faisait un disque par mois. J’écoutais aussi du hard rock mais me suis encore plus transcendé dans divers trucs post-punk que les médias se mettaient généralement à nous présenter comme de la new wave en affirmant que le punk était mort. J’écoutais beaucoup de punk anglais, Ruts, les Slits, et plus tard du hardcore, mais aussi Tubway Army, Siouxsie, Adam and the Ants… Crass l’avait déjà chanté mais Exploited affirmait le contraire. Les médias de l’époque ne l’ont fait croire qu’à tous ceux qui n’y croyaient pas, soit la majorité. Des voisins écossais ont eu la visite de leur nièce de treize ans, qui connaissait Wati, elle avait un look punk comme on ne voyait pas ici. Joan est resté plusieurs jours, je lui ai échangé le premier album des Damned contre des singles, elle l’écoutait à fond au casque. Dans mon quartier, beaucoup écoutait de la disco, ou du rock classique, le punk n’a pas trop pris, c’était toujours une minorité, comme partout dans le pays, j’imagine. Mon meilleur pote voisin était plus dans la zique progressive et psychédélique. Chez moi, il écoutait du punk, comme les autres potes qui venaient à l’appart, et chez lui j’écoutais Pink Floyd, Higelin, Thiéfaine. Je suis devenu boulimique de zique, ce qui veut dire que la thune de mes premiers boulots passait en disques et en concerts. Commencé a en bouffer à quinze ans, le premier c’était Scorpions en 1979, et la batterie qui montait sous un nuage de fumée, avec Mistral en ouverture. Bien sûr ensuite y en a plein qui m’ont impressionnés, mais celui où j’ai littéralement eu des frissons à fleur de peau c’était HR au Glob à Lyon, en 1989 je crois. Ce qui se passe quand vous avez la force de l’authenticité devant vous qui vous transmet son énergie en profondeur, avec leur reggae dada teinté de métal. Ce n’est pas forcément le genre qui fait la force, la sincérité est primordiale, et l’originalité est toujours un plus. C’est pourquoi j’ai évolué en écoutant beaucoup de trucs et de genres différents, du rock des sixties à l’électro, en passant par l’expérimentale. Un concert comme celui de Neptune à l’ancien squat Crocoleus, en 2004, la saison ou je faisais partie du taf, leur ai même fait la lumière, compte parmi les choses extraordinaires qu’il nous ait été donné de voir. Hormis leur musique très personnelle, ils avaient eux-mêmes fabriqué leurs guitares dans du métal brut, c’était futuriste et préhistorique en même temps ! L’avant dernier concert de Nirvana était époustouflant de force et d’émotion combinées, le son monstrueusement bon et je n’avais jamais vu un jeu de lumières aussi sophistiqué à un concert, de plus, y avait les Buzzcocks en ouverture. La musique est un domaine tellement vaste qu’on peut facilement s’y perdre. Et tous les genres ont leurs pépites, et y en a un max. Il est impossible de faire de l’élitisme en disant qu’il y a un groupe qui dépasse tous les autres, sinon c’est de l’idolâtrie, et ça reste une question de sensibilité personnelle et non de dictat médiatique. Prime bon point aux diverses scènes ou groupes post-punk dont beaucoup de disques sont plutôt restés dans l’ombre au moment de leur sortie, et qu’on a pu enfin découvrir grâce au Net. C’est une mine, pas d’or, mais d’engrais et de purin. Et mondiale en plus ! Les frontières morales sont tombées. On ne parle pas du lot de moutons réactionnaires qui ont toujours existés, qui seront toujours là pour imposer leur point de vue, scléroser une société, et engendrer leur suite de rebelote et de régressions. Le Net a aussi permit de découvrir les disques des plus improbables des générations précédentes. Bien sur je suis un accro du punk, principalement pour son aspect original et créatif, mais ce style ne s’est pas fait tout seul, alors les connections, influences et connivences des genres et des cultures sont extrêmement intéressantes. Tout comme celles du cinéma sur la musique et vice-versa. Aussi j’ai jamais cessé d’écouter des nouveaux trucs, et c’est un réel plaisir de découvrir tout ce qui était inaccessible alors.

Buanax : Vers quelle période as-tu formé ton premier groupe ? Quels étaient les endroits où jouer ? A quoi ressemblait le public en France ?

Ladzi : En 1982, après un an de pratique de la basse en apprenant à jouer sur des titres comme Jah War, Nice and Sleasy, Stop That Girl, Whips and Furs, qui me viennent à l’esprit. Je m’entraînais aussi à enregistrer ma voix sur cassette par dessus des titres des Ramones et d’autres, le truc basique. Mon premier groupe, Ambassade, n’a fait qu’un concert en 1983 à La Taverne, à Grenoble, avant que le guitariste ne parte au service militaire. On faisait quelques reprises et nos premières compos. Y avait des titres des Jam, Undertones, Chords, même Cure, le batteur, un mod, ne voulait pas faire de reprise des Clash, alors qu’on était fans avec ma cousine qui était au chant, mais on a fait le titre tueur D’asphalt Jungle, Poly Magoo, en concert. J’ai aussi joué la basse avec un second groupe, Screamin’ Dolls, de Lyon et Vienne, du punkabilly, ils avaient déjà des compos, mais on a fait que deux concerts car le chanteur est aussi parti faire l’armée. J’ai eu ensuite d’autres expériences de groupes éphémères avant de commencer les délires solo ou formations minimales avec qui on sortait en cassettes les démos, comme Cripure S.A., Dirty Husbands ou Hermaphrodisiak, puis à nouveau en groupe pour la scène en 1989 avec No No No, puis Ultime Atome en 1994. Et retour aux enregistrements cette fois sur 8-pistes. A Grenoble il y avait La Taverne, la Zone Interdite, l’Entrepôt, le Magique et le 102 à l’époque. Je fais plus de zik depuis 2006, avec Glop ! l’édition à pris le dessus, mais j’ai bien envie de transcrire en mp3 des trucs qui en valent la peine. Dommage car y a trois albums pas terminés jamais sortis. Si je crève pas avant de m’y remettre… Le public en France ? ça doit dépendre des régions et des mentalités, il me semble pas qui fut bien différent de ce qu’il sera, en tout cas il m’arrivait de pogoter plus jeune, mais pas du genre sauvage. J’ai eu qu’un seul perfecto dans ma vie, j’avais commencé à le peintre dans le dos en faisant mon propre insigne, mais on me l’a volé dans un coffre de voiture en 1984. On avait laissé toutes nos vestes dans le coffre pendant un concert de Killing Joke au Rail Théatre – jamais racheté un autre. Peu après un ami de Lyon m’a dit avoir vu un mec dans la rue qui avait le même insigne que moi. Putain, le mec, il se la pétait avec son perfecto volé avec un tag mystérieux au dos ! J’ai plutôt abandonné les looks, sauf pour la scène. J’adore l’originalité vestimentaire, et tout ce qui affiche une non-conformité, mais personnellement, la discrétion me convient mieux, même si on a l’air conforme vu de l’extérieur – Ce concert est l’un des plus fort niveau volume que j’ai vu à l’époque. Je n’ai jamais compris la politique de sonorisation qui consiste à exploser les oreilles de l’auditeur. Par exemple un concert qui commence à un volume convenable et qui monte en puissance au fur et à mesure, comme si le public avait besoin de ça pour se tenir en haleine. Alors que ça n’altère en rien à la qualité de ce qui nous ait présenté. J’ai vu pas mal de concerts gâchés à cause de ça. Les bons concerts ça marque, mais les disques chiadés en studio sont impérissables.

Buanax : Tu as participé à plusieurs fanzines graphiques. Qu’est-ce qui t’as attiré dans cette forme d’expression ?

Ladzi : L’aspect visuel m’a d’abord interpellé avec les pochettes de disques, et celles qui avaient des originalités par rapport au standard, c’était tripant. J’aimais bien dessiner et je l’ai fait un peu à une période mais contrairement à un certain nombre de punks, je ne suis pas passé par les Beaux-Arts. J’étais pas super doué, plutôt un touche à tout, comme pour la zique, j’ai jamais pu me spécialiser pour devenir professionnel, l’aspect amateur et l’accessibilité à tout le monde induit dans le punk donnait tout l’intérêt à la créativité. J’avais acheté le bouquin La Gloire des Bazooka, de Jean Seisser, et leur travail m’a introduit à la dualité des arts, pour la trialité avec le cinéma, l’intérêt m’est venu plus tard, mais reste à mon avis indissociable. Tout ce qui fait appel à l’imaginaire est une forme de lutte pour l’émancipation de la race humaine. J’ai participé à un zine de zique, d’abord appélé Inquiédude, y a eu plusieurs numéros entre 1983 et 85. J’ai une petite collection de fanzines de cette période, j’étais notamment abonné à On est pas des Sauvages. Puis réalisé deux graphzines avec plein d’invités, Disco Totem et Le Foligraph, en 1988, en parallèle à des compil à thèmes qu’on sortait avec le tape label R.R.Products.

Buanax : Comment décrirais-tu les éditions Rytrut ? Selon toi, qu’est-ce qui les différencie d’une maison d’édition classique ?

Ladzi : Je suis parti de rien, à part un peu d’expérience et de curiosité, n’étais pas déjà dans le milieu de l’édition, ni dans aucun milieu d’ailleurs. Comme l’a dit à sa manière Craig O’Hara, le punk s’est débarrassé de la contrainte d’identification à une classe sociale particulière, pour valoriser l’individualité et l’authenticité. On veut être libre de faire ce qu’il nous plaît, avec les moyens qui nous sont donnés ou qu’on arrive à obtenir bien sûr. Rytrut reste une association à but non lucratif, ce n’est pas une entreprise, mais on y entreprend beaucoup pourtant… dilemme. Les auteurs traduits touchent leurs droits, dans la mesure ou le livre se vend assez pour le permettre, le premier objectif de rembourser les frais et le coût de l’impression étant atteint. Mais le principe d’une édition professionnelle de payer des royalties à l’avance à signature du contrat est le même, pour des bouquins en cours que nous avons signés. Les associés à nos projets sont des passionnés, l’idéal serait au moins d’en vivre, « Il n’y a pas de sots métiers, il n’y a que des sots tout court ». En tout cas on n’est pas un bizness qui traite ses sujets superficiellement pour faire du pognon avant tout. Mais le plus important reste d’avoir les moyens de les éditer (sinon pourquoi « ducon » il se décarcasse).

Buanax : Peux tu nous faire une présentation rapide de chacune de tes parutions ?

Ladzi : Moi Shithead : A travers celle de D.O.A. et de ses engagements, Joey Keithely, un pionnier du genre, offre un aperçu de l’histoire du punk rock canadien, se lit comme un roman plein de péripéties, non dénué d’humour ; Double personnalité, l’histoire de P!nk  de Paul Lester : l’incroyable aventure d’une rebelle talentueuse d’origine modeste devenue star internationale, très influente sur l’évolution de la pop de la dernière décennie ; Going Underground : L’excellente seconde édition revisitée par George Hurchalla, un must sur l’histoire du punk, du hardcore et du rock indé. Chansons d’amour de Crass : Les paroles traduites de ce groupe et collectif anarcho-punk, des thèmes de société qui restent plus que jamais d’actualité. Ironique le titre ? Pas tant que ça ; La Philosophie du punk de Craig O’Hara : le mémoire de sociologie devenu un livre qui remet des pendules à l’heure ; Trespassers W – L’intégrale de Cor Gout : les paroles illustrées de ce groupe néerlandais légendaire d’influence dadaïste, rock, punk, jazz, expérimentale, avant-garde, multiple.

Buanax : La démarche est courageuse. L’investissement personnel et financier est de taille. Je ne peux pas m’empêcher de comparer avec la musique et particulièrement avec la sortie d’un disque qui me semble beaucoup plus simple. Par quel bout t’y es tu pris ? Avais-tu des connaissances, de bons conseillers ? Quelles difficultés as-tu rencontrées ?

Ladzi : Merci du compliment. En 2001, j’ai tout d’abord proposé la philo du punk à l’ACL qui était intéressé. Quand la traduction était prête, et comme j’étais sans emploi – je faisais de la zique mais ça ne nourrissait pas son homme – j’ai décidé de l’autoéditer, et pris le nom de l’asso Rythm & Rut en le réduisant. Etant sans un rond, sans un seul rond, j’ai soumis le manuscrit au Centre National du Livre pour une demande de subvention. Celle-ci à été accordée sous forme d’aide remboursable. Comme ça faisait environ un quart du budget, j’ai profité d’une proposition d’emprunt bancaire, et y avait le compte pour l’impression. Et le reste s’apprend sur le tas, comme trouver un imprimeur de qualité et digne de confiance. Pour les deux premiers livres j’ai fait appel à des infographistes, pour ensuite me mettre à la PAO, parce que j’aime ça et que nous tournons à budget serré.

Buanax : Pour prendre un exemple personnel, sur notre stand, la grande majorité du publique achète des disques. Les livres et les fanzines (souvent feuilletés d’ailleurs) ont beaucoup moins la côte. J’ai le sentiment que la valeur accordée à l’objet papier n’est pas la même que pour un vinyle par exemple et je ne parle pas forcément d’une valeur marchande… Quel est ton sentiment là-dessus ?

Ladzi : L’explosion du Net, malgré tous ses avantages a certainement nui au support papier. La génération d’avant dont je fais partie achetait plus facilement des zines et des bouquins. Je ne suis connecté que depuis 2003 et c’est tout un fonctionnement qu’il a fallu adapter. C’est d’ailleurs épatant que le disque n’ait pas été complètement anéanti, grâce aux résistants ! J’étais moi-même friand de galettes, mais pour ça aussi faut avoir du budget et j’ai choisi de tout mettre dans notre édition, je suis donc devenu un faible consommateur. Et avec la vie qui ne cesse d’augmenter, comme le fossé entre les escrocs et escroqués, il y a des priorités qui passent avant. Beaucoup préfèrent collectionner des disques mais les livres sur la musique sont des compléments qui approfondissent la compréhension du sujet. Par exemple, on peut écouter un disque anglophone sans comprendre l’anglais, la voix étant un instrument, tout comme un disque en suédois, on aura le frisson, et toutes les langues sont intéressantes par leur sonorité, mais dans mon cas, ne connaissant que l’anglais, c’est donc les sujets dans cette langue que j’ai choisi. En plus j’ai une culture musicale largement anglophone, pas uniquement, loin de là, plutôt internationale même, mais on ne peut pas tout être. Donc mon travail consiste à partager ma passion, et au-delà de l’aspect bizness, cet aspect qui en contraint beaucoup en entrer dans des délires paranoïaques. Si le livre se vend mois que le disque, y a aussi le fait qu’un livre ne se lit qu’une fois, ou deux, c’est mieux si on veut éviter de dire des conneries, alors que le disque peut s’écouter jusqu’à plus soif. Mais ce qui compte c’est que le livre intéresse, peu importe que ce ne soit pas un best seller, même a petite échelle, toute sa valeur est dans le fait qu’il existe, qu’il ait capturé l’histoire, qu’il touche des gens.

Buanax : On peut trouver tes livres dans des librairies, des magasins de disques, des lieux autogérés, des distros et bien évidement en ligne … Combien de temps t’as-t-il fallu pour mettre en place un tel réseau ? Le circuit de distribution traditionnel est-il vital pour toi ? Ton site est-il bien visité ?

Ladzi : J’avais pas mal de contacts depuis l’époque des zines, du label de cassettes, du mail-art, mais avec le Net, fini les lettres, ou si peu, fonctionnement différent. Ça s’est fait petit à petit. Au début j’ai acheté des annuaires de contacts liés a l’édition et à la musique, puis mes carnets d’adresses email ont grossis avec les mailings, mais en 2005, mon ordi avait planté, n’ayant pas sauvegardé mon carnet d’adresse, il m’a fallu recommencé. Beaucoup n’ont plus du recevoir de nos nouvelles. Les mailings, c’est vraiment la péripatéticienne du Net. Y en a qui en font jusqu’à l’obsession ; ça me gène pas de recevoir des tonnes d’infos, même si on ne peut que les survoler pour beaucoup, y a quand même une richesse d’information incroyable. Perso je n’en fais généralement plus que pour la sortie d’un livre. En 2004/2005, j’en faisais pour les concerts du Crocoléus. Le squat a été détruit en 2006, mais je reçois encore des demandes du monde entier pour des concerts, auxquelles j’ai souvent répondu qu’on s’occupait plus que d’édition et parfois transmis les demandes à d’autres. Mais y en eu trop, j’ai plus pu, donc tolérance de tout ceux à qui je ne réponds pas à ce sujet. Pour chercher des concerts inscrivez-vous à planconcert.com, c’est mon acolyte Cyrille Lannez qui l’a crée, tout comme le site de Rytrut. C’est un bon batteur et un comparse musical par ailleurs. Actuellement, il joue de la guitare dans With a Defect. Pour revenir à nos moutons, tous les moyens de distribution sont bons, on ne fait pas de ségrégation éthylique. On fonctionne avec la conviction que le commun des mortels n’est pas un imbécile incurable. Et notre culture mérite d’être diffusée le plus largement possible, non aux ghettos, aux sectes, aux nouveaux fachos, aussi alternatifs soient-ils. Circuit traditionnel et circuit parallèle main dans la main contre la suprématie abrutissante ! Notre site a un certain nombre de visites, voir le compteur, que je check rarement, s’il y avait autant de commandes que de visites, ce serait cool, mais il a aussi un contenu, qui reflète en partie notre travail.

Buanax : Comment c’est passé le contact avec les auteurs que tu as publié (Craig O’Hara, George Hurchalla, Steve Ignorant, Joey Shithead…) ? Quelles relations entretiens-tu avec eux ? Parle nous des ces rencontres et de tes choix de traduire tel ou tel livre ?

Ladzi : En 1996, alors à Londres pour une période indéterminée, j’avais lu une chroniques de la première édition de The Philosphy of Punk dans un journal. L’avais commandé dans une librairie mais il n’était pas encore arrivé quand je suis finalement revenu en France. Et c’est en 2001 que je tombe dessus au local du Bokal à Bourg. Dès les premiers chapitres j’ai eu le déclic de le traduire et j’ai contacté Craig O’Hara. On a eu un très bon contact et ce jusqu’aujourd’hui. C’est encore le bouquin de Rytrut qui se vend le plus. C’est donc une cause qui porte ses fruits. Soit la diffusion de notre culture qui reste très marginale dans sa profondeur, malgré les apparences. Craig à même plusieurs fois accepté de recevoir ses droits d’auteurs longtemps après les dates de bilan, afin de nous permettre d’avoir le budget pour les livres suivants. C’est aussi lui qui m’a conseillé Going Underground. J’avais lu American Harcore, même si j’ai apprécié la foule d’infos qu’il contient, la certaine complaisance de l’auteur par rapport à la violence du public apparaissant dans le hardcore à une période m’avait rebuté. Craig était d’accord avec moi sur ce point. Même si ce livre est intéressant par sa mine d’infos, Going Underground m’a plus botté, je l’ai trouvé plus profond. J’ai alors contacté George Hurchalla, et on a aussi eu un très bon échange. Avant y a eu les paroles de Crass, pour lequel j’ai écrit à Penny Rimbaud. J’ai vu une fois Steve Ignorant avec Schwartzeneggar, à Dijon en août ’91, lui ai fait un blague avec un tee-shirt marrant que je portait, ça l’a fait rire et il sont allées sur scène. Il faisait tellement chaud qu’à un moment il est tombé dans les pommes, mais c’était un bon concert. Donc Penny m’a mis en contact avec Pomona, car l’éditeur préparait Love Songs en Angleterre. C’est pour cela qu’on à dealer avec l’éditeur et utilisé leur mise en page avec l’ordre des paroles choisi. J’ai donc correspondu avec Penny par courrier, il avait abandonné le net, suite à l’afflux de courriel. Il avait écrit la plus grosse partie des paroles du groupe et a gentiment répondu à mes questions concernant le texte. Il m’a aussi fallu contacter Annie-Claude Lemeur car elle avait déjà traduit deux albums du groupe, ça datait, on y a un peu retravaillé. D’ailleurs, ayant perdu sa trace, si quelqu’un à ses coordonnées actuelles, je suis preneur. Puis les paroles traduites de Trespassers W, était un choix risqué car ce groupe indéfinissable au sens strict du terme a un public international, mais un faible public français. Cor Gout est un ami depuis 1987, quand il nous avait envoyé un titre pour une compil cassette. Je suis depuis allé plusieurs fois aux Pays-Bas, mais y allais déjà dans l’enfance car ma mère parle le néerlandais et nous y avions comme une seconde famille. J’ai donc une certaine affinité avec ce pays, et Trespassers W compte parmi les groupes les plus intéressants de son histoire musicale. Joey Keithely est un mec super. J’avais lu son livre en anglais, et c’est Raf de Limoges Punx et Attentat Sonore qui a proposé qu’on le fasse en français. J’avais vu D.O.A. en 1985, au concert à Grenoble qui est mentionné dans le livre, puis en 2009 au concert à Valence au Mistral Palace, dont le flyer apparaît dans son second livre récemment sorti Talk–Action = O, An Illustrated History of D.O.A. Superbe bouquin tout en couleur, avec aussi du texte, que les anglophiles peuvent commander chez Asenal Pulp Press au Canada. On avait déjà eu un échange de mails, et Joey a gentiment répondu à nos questions, j’ai pu le rencontrer en chair et en os à ce concert. Vraiment LE mec, franc, direct et sympa ; pas de faux-fuyants à la française.

Buanax : Going Underground avait été sélectionné pour le prix du livre rock 2010, quel souvenir gardes-tu de cette d’expérience ?

Ladzi : Ecoute, ça fait plaisir, faudrait-il s’en plaindre ? C’est valorisant que ton travail soit apprécié à sa juste valeur. L’instigateur de ce concours, Jean-Baptiste Almeras, de la librairie l’Arbre à Lettres avait commandé un exemplaire pour lui. Il a adoré et m’a proposé d’envoyer quatorze exemplaires pour le jury du concours. George Hurchalla en a été très content et m’a dit que son livre avait une plus grande reconnaissance en France qu’aux Etats-Unis – bien qu’il en ait beaucoup plus vendu et qu’il y ait eu beaucoup plus de critiques élogieuses dans son pays, où la troisième édition est épuisée. L’anglais s’exporte plus largement que le français, naturellement. Going Underground a donc compté parmi les dix ouvrages de la sélection du concours. C’est un livre sur les Beatles qu’il a emporté le prix. Il l’a certainement mérité, mais rien de neuf à l’Est ? En plus de l’intérêt de toutes ces anecdotes croustillantes sur la scène, de la superbe mise en page, et de son prix, justement hors concours quand à lui, Going Underground fait aussi apparaître des dizaines et des dizaines de groupes occultés jusqu’alors, ce qui en fait tout l’intérêt. On en vendu environ cinq cents, pas encore assez pour amortir le coût de l’impression. On connaissait la France molle, on la sait dégoulinante. Mais on a quand même eu de supers échos. Faut dire qu’un certain nombre de personnes l’avait déjà lu en anglais – surtout la première édition semble-il, Hurchalla a fait pas mal de modifs sur la seconde – mais en français on peut avoir des surprises sur la consistance du contenu, et en prime on s’est farci le mou à donner des traductions de toutes les citations et titres de chansons dont il question.

Buanax : Juste avant Moi, Shithead… tu as sorti Double Personnalité une bio sur la chanteuse Pink. J’imagine que la préparation est un peu différente et que le public visé n’est pas vraiment  le même que pour les bouquins précédents. D’ou vient ce choix ? Comment le livre a-t-il été reçu ? T’es-tu attiré les foudres moralisatrices d’une partie du circuit DIY ?

Ladzi : Je l’ai fait exprès pour emmerder le lot de crétins sectaires qui ont envahis l’underground ces dernières années, si c’est pas punk, ça ! De toute façon, y en a qui ne seront jamais content quoi que tu fasses. Oui, j’ai accepté la proposition du P!nk par Omnibus Press pour me faire plein de fric et pour faire chier les branleurs qui se disent DIY, mais qui financent leur trucs avec la thune de l’Etat, de leur patron. Je ne trouve pas plus malhonnête d’essayer de vivre de son activité que d’être contraint à faire un boulot qui de toute façon ne me laisserait pas le temps nécessaire à cette activité indépendante. Mais ça n’a pas marché, les médias grand public n’en ont pas parlé. C’est pas eux qui ont fait ma culture musicale, de toute façon. C’est le propre de chaque être libre. Non, sans déconner, c’est une copine punk autrichienne qui m’a fait écouter P!nk la première fois, en 2005, j’avais trouvé ça pas mal même avec l’aspect commercial, et ensuite elle a fait des trucs qui tuent bien et elle touche au cœur les gens qui la comprennent. Missundazstood ? Pas pour tout le monde. Je n’ai pas signé le bouquin avant de l’avoir commandé et parcouru le propos de l’auteur pour voir l’état d’esprit. Y a qu’un truc qui me dérangeait, c’est l’apparition comparative systématique de ses tubes dans les hit-parades, ça crée des parenthèses moins intéressantes, mais d’un autre côté ça justifie le propos. D’après les échos que j’en ai eu, les vrais fans de P!nk ont adoré le bouquin et le travail qu’on a fait. Y en a même qui ont dit que leurs parents étaient surpris de les voir lire. Si c’est pas positif ça. Et en plus, si on peut amener un autre public à écouter autre chose que de la pop commerciale, la démarche n’est pas vaine. Le mec d’un blog de fans de P!nk français m’a dit qu’elle n’était pas si populaire que ça en France – à mon avis la barrière de la langue fait une fois de plus des siennes alors les approximations vont bon train – et que quand les médias d’ici en parlaient c’était généralement pour se foutre de sa gueule, la considérant comme une midinette pop de plus sur l’échiquier. Ça témoigne bien d’une certaine mentalité élitiste qui a court dans certains médias. Car P!nk est différente de la plupart des starlettes préfabriquées de la pop, elle est authentique et sa musique, quand on a écouté tout ce qu’elle a fait est très rock, c’est une punk d’esprit, c’est une femme libre qui ne s’est pas laissé imposer ce qu’on voulait faire d’elle dans les hautes sphères du marché de la musique. En travaillant sur la bio du journaliste Paul Lester, j’ai décrypté son travail en profondeur, musique, paroles, vidéo clips qui ne manquent pas de piment, et vu les films où elle est apparue. C’est une artiste complète et unique en son genre, vraiment intéressante. Elle a des choses à dire et elle est attachante. Je suis désolé pour les mauvais esprits superficiels, mais P!nk en vaut la chandelle. Ce n’est pas du tout déplacé de l’avoir intégrée à notre catalogue. Alors les foudres moralisatrices on s’en bas les couilles, surtout de la part d’abrutis, ça ne nous atteint pas. Mais je vais pas être aussi con qu’eux, s’il existent, je dirais ce que je pense, sans me baser sur les apparences et ne me laisserais pas pourrir par la bêtise humaine. Ça fait longtemps que l’homme se bat pour son évolution, mais la dé-évolution agit toujours en contre-courant. D’autres avaient déjà intégré cette notion, et non, ce n’est pas nouveau, bande de larves. S’ils croient que c’est en se cantonnant dans leurs stéréotypes qu’il vont changer le monde. Je ne suis d’aucune caste, je parle de choses qui me passionne et ne suis pour aucune forme de ségrégation. Le personnage de Jil, dans le film de 2004 d’Enki Bilal, Immortal, ad vitam, une mutante à la peau blanche et aux cheveux bleus, fait étrangement penser au personnage de P!nk sur son single de 2001, There You go, sauf qu’ici, la mutante à la peau bleue et les cheveux roses. Et à un moment dans le film, il est fait allusion à la double personnalité de Jil, « Split Personnality » comme le titre d’une autre chanson de P!nk. Même si le film est l’adaptation d’une BD de 1980 de Bilal, je ne peux pas m’empêcher de faire des liens entre le cinéma et la musique.

Buanax : Plus tu fais de choses, et plus tu es exposé aux critiques, c’est la loi des grands nombres ! Quels est ta réaction en général face aux critiques, bonnes ou moins bonnes ?

Ladzi : Y a des chances car différents critères entrent en jeu. Les bonnes critiques sont plutôt encourageantes, témoignent d’une reconnaissance de notre travail et permettront de mieux le diffuser. Les mauvaises peuvent te permettre de te remettre en question, si tu ne prétends pas détenir la science infuse, et qu’elles ne sont pas fondées sur des inepties. Ce qui a quelque fois été le cas, et cela peut te mettre en rogne et tu peux sentir comme une injustice. « There’s No Justice in Life » comme le chantait Snakefinger. Et c’est normal qu’il y en ait, c’est le coup classique, tout le monde n’est pas fait de la même veine. C’est ce qui fait la diversité. Il n’y a pas de vie supérieure par rapport à une autre, ce n’est qu’un concept bourgeois lié au capital. Et l’argent n’est utile que quand il sert, en plus de nourrir, à créer ; et même à consommer, bé ! Je suis toujours parti du principe qu’il vaut mieux plaire à dix personnes intéressantes qu’à dix mille abrutis. Quoi qu’il en soit, je pense qu’on fait du bon boulot, au mieux de nos capacités. Autodidacte sur bien des points, même si je ne suis pas un super génie, j’y crois et suis fier de faire ce que je fais, n’en déplaise.

Buanax : Pour toi, l’édition de livres indépendants c’est la continuité du fanzinat ? Je vais te poser la même question que j’avais poser à George Hurchalla : considères-tu qu’a l’heure actuelle, les fanzines papiers ont encore un réel intérêt ?

Ladzi : Oui, en ce qui me concerne, mais c’est arrivé comme ça, je ne l’avais pas prémédité. J’avais fait un peu de fanzinat mais pas tant que ça, faisant beaucoup de musique. On ne peut pas tout faire. C’est déjà pas toujours évident de s’en tenir aux choses essentielles qu’on a choisies. Je suis toujours curieux de tomber sur des chouettes zines, des graphzines délirants, la bébé haute en couleurs, mais je n’ai souvent pas les moyens de me les offrir. De sacrifice en sacrifice l’oiseau fait son nid dans un arbre aux feuilles de sable. Mais le fanzine a autant d’intérêt qu’un magazine, chacun avec ses politiques différentes, c’est au lecteur de prendre ce qui l’intéresse, même si la diffusion est moindre qu’avant le Net et qu’elle est certainement plus locale. Ce n’est peut-être pas un investissement pas rentable, mais c’est une œuvre de passionnés.

Buanax : Tu fais allusion au dadaïsme dans ta page de présentation, un mouvement qui a été associé au punk dans les années 70 comme d’autres courants de pensée (anarchisme, nihilisme, situationnisme…) Beaucoup de monde rejette ce côté intellectuel voir engagé du punk privilégiant avant tout la musique. Un vieux débat qui n’en finira jamais ! J’ai bien aimé la façon dont O’Hara à résumé ça : Il y a le look, les idées et la musique et chaque personne pioche plus ou moins dans chacune de ses boites et se fait sa propre interprétation. Quelle idée te fais-tu du punk maintenant avec ton expérience ?

Ladzi : J’avais fait ce rapprochement en lisant un livre sur Raoul Hausmann. Il est évident que ses collages des années 1920 ont eu une influence directe sur l’imagerie punk. Et les écrit de Tristan Tzara par exemple ne sont pas même dépassés et expriment certainement une intemporalité de la condition humaine. Un certains nombre de punks était passé par les Beaux-Arts, ou alors avaient une sensibilité et un regard sur le monde inhérent à une certaine forme d’indépendance. Encore une fois, ce mouvement qui prétendait tout détruire du passé pour créer quelque chose de totalement nouveau – un truc naturel de jeunesse, je n’étais pas encore né, je suis d’un autre temps, qui entraîne à faire de l’âgisme – a puisé son inspiration dans l’art des générations précédentes, pour faire quelque chose de nouveau. C’est comme ça que le rock’n’roll des années 1950 a évolué pour donner jusqu’aujourd’hui toute cette créativité. La musique est un art, et l’art peut tout exprimer. Il peut être simplement figuratif ou socialement engagé. Y a que les bourrins que l’aspect intellectuel doit déranger. C’est plus facile de ne pas réfléchir. D’un autre côté y a aussi ceux qui a l’extrême s’écoutent parler et se fond un lavage de cerveau ! Mais un bourrin peut aussi être créatif et ne pas se contenter d’essayer uniquement de reproduire ce qu’il a entendu. Le punk n’a pas simplement marqué son époque – a un certain niveau et certainement pas dans toutes les sphères, sinon ça se serait vu – pour tomber dans les oubliettes, c’est une essence qui s’est infiltré dans la musique moderne, un virus pour les conservateurs, qui continue son influence même sans forcément qu’il y ait une conscience de celle-ci. Hé, l’âge de pierre est bien loin, et notre condition a évoluée, mais sans vouloir faire de l’élitisme, comment se fait-il que la misère, la médiocrité, l’avidité, la jalousie, et j’en passe de tribulations, ne soient pas des choses qui ait été résolues avec le temps ? Rien que le titre de la compil des Saints, Prehistoric Songs, résume bien cela. L’intellectualité a aussi différent niveaux. En lisant mes propos, y en a qui vont penser que je fais de la branlette intellectuelle et d’autres que ça ne tient pas route, car ils n’ont pas la même vision des choses. Qui peut prétendre avoir raison, sans creuser un peu plus dans ce qu’il croit connaître ? Bref, le punk est mort et pas mort en même temps ! C’est une richesse culturelle qu’il est plaisant de convoiter. C’est pour ça qu’on fait des livres pour en parler, y a de la matière et elle n’est pas minime, elle est incommensurable.

Buanax : Dans tes groupes, tu avais l’habitude de chanter en français pourtant tu n’édites pour l’instant que des livres étrangers. As-tu l’intention de sortir un livre spécifique sur la scène hexagonale ?

Ladzi : Normal, c’est ma langue, et je ne suis pas d’accord sur le fait de penser que le rock chanté en français ça ne sonne pas bien. Il y a de nombreux exemples qui prouve le contraire. Toutes les langues peuvent le faire, ça sonnera juste différent, la voix est un instrument. J’écrivais aussi des paroles en anglais, quand elles me venaient en anglais. J’avais juste ajouté un texte sur mon sentiment de la scène hexagonale dans la philo du punk, mais je n’ai pas la vocation d’écrire mon propre livre à ce sujet, parce que ma culture musicale est plus anglophone, et parce que quand je faisais de la musique, j’en écoutais moins en langue française pour ne pas être influencé et faire mon propre truc. Ça n’empêche pas que j’ai aimé plein de trucs de notre pays, je ne suis pas anti-français, ni anti aucun autre pays, je ne suis pas anti tout court, car je ne suis ni facho ni sectaire, ce qui ne veut pas dire que je mange à tous les râteliers, je suis pro-tout ce qui n’empêche pas la liberté d’expression. Rytrut est tout petit, on n’est pas une usine à livres. Mais on verra comment ça évolue, si on nous propose un livre sur la scène hexagonale, on y réfléchira. C’est pas parce qu’on a fait que des sujets anglais, américains et néerlandais que c’est une ligne de conduite.

Buanax : Es-tu sollicité pour des sorties de livres originaux ?

Ladzi : Quelques fois, pour des livres pas forcément en rapport avec la musique, et comme on a ni le budget ni le personnel pour sortir plein de trucs comme une vraie maison d’édition, c’est mort. Après la philo du punk, un traducteur m’a proposé The Rough Guide to Reggae, un pavé de 480 pages sur les racines de la musique jamaïcaine. Ça m’aurait botté mais comme je démarrais c’était pas envisageable. Je l’ai re-contacté récemment, il n’avait pas encore fini, mais prévoit finalement de l’autoéditer après une quête infructueuse auprès d’autres éditeurs. Y avait aussi le petit livre Harcore Zen, de Brad Warner, mais la trad n’était pas encore au point, et j’étais pas dispo pour y participer. N’ayant plus eu de nouvelles, je sais pas si le traducteur à persévéré ou pas. Récemment a été suggéré l’idée de sortir d’autres récrits, des petits livres, certainement en lien avec la musique quand même, à voir. On ne peut pas trop s’avancer là-dessus.

Buanax : Travailles-tu toi-même sur quelque chose ?

Ladzi : Ben ouais, suis pas un glandeur merde ! Même si j’aime la distraction, surtout quand elle n’est pas uniquement ludique, en faisant des trucs actifs différents pour ne pas tomber dans la routine. Y a plusieurs projets sur le feu, d’ailleurs on arrête les frais, c’est la dèche. Je suis bien occupé pour deux ans mini rien qu’en traduction. Commencé en 2005, les paroles de Jello Biafra se sont affublées de pas mal d’illustrations depuis le projet initial. Ce sera notre second bouquin qui n’est pas une traduction d’un livre existant et il devrait être prêt pour la fin de l’automne. Et j’ai commencé à bosser sur Typical Girls?, le livre de Zoe Street Howe sur les Slits.

Buanax : Une journée typique chez Thierry ? Tu as un job à côté ?

Ladzi : Ben non, pas d’autre job, comment pourrais-je trouver le temps de travailler ? Je suis un précaire. Emploi bénévole multiple au sein de Rytrut, gérer le site, communiquer, traduire, rechercher les infos, faire les paginations, envoyer les commandes. Et faut tondre l’herbe, couper les arbres, récolter les framboises pour les confitures, faire un peu de travaux dans le local de l’asso, qui est aussi le petit chalet que je loue depuis maintenant douze ans et où je vis. Par le passé, en parallèle à la musique,  j’ai fait différents jobs dans différents domaines mais je ne vais pas étaler mon Capitalisme Virulent ! C’est du lard ou du chichon ? Au lycée, j’ai fait mécanique générale, puis j’ai appris les bases de la maçonnerie, été gardien de jour, standardiste, technicien radio dans une locale ou j’avais des matinées libres de programmation, magasinier, gestionnaire de stock, fait les vendanges et suivi une formation des techniques du spectacle, c’est pour dire…

Buanax : Qu’est-ce qui tourne en ce moment chez toi ? Tu peux nous citer cinq bouquins et cinq disques qu’il serait préférable d’avoir lu et écouté avant de passer à travers la balustrade ?

Ladzi : Tellement de trucs au quotidien, que c’est difficile de n’en nommer que quelques-uns. Facile pour être catalogué rapido. Pour les cinq livres je coince, car j’ai plus trop la permission de lire autre chose que les textes sur lesquels je bosse, ça fait donc un moment que j’en ai pas lu de nouveaux, honte à moi, à part les infos d’actualité du net, des instigateurs de pétitions, ou de quelques journaux ou magazines politiques. Mais je lis quand même, par intermittence, d’autres livres en anglais sur la zique, ça me fait aussi travailler la langue. A vrai dire, après des heures passés sur l’ordi, je préfère me regarder un bon film en VO. Faut quand même avoir lu au moins une fois et jusqu’au bout, Le Tutu de Princess Sapho, c’est barré, un livre qui a été édité en 1891, mais pas mis en vente. Un rare exemplaire a été retrouvé et publié aux éditions Tristram en 1997. Pour les cinq disques, trop difficile aussi, y en a tellement, des plus classiques aux plus incongrus. Alors même si c’est pas dans l’actualité, le vais citer For Mad Men Only, de UK Decay et leurs singles. J’avais rencontré Abbo et Spon avant leur premier single, au cours d’un échange scolaire d’une semaine à Nottingham en 1979, on a fait une fête ensemble, où passaient les singles Public Image de PiL, et The Sound od the Suburbs des Members, et on s’est baladé dans les rues de Londres lors du quartier libre d’une excursion. Ils collaient des autocollants UK Decay sur les barres du bus, et devant la vitrine d’un disquaire Spon m’a entre autre conseillé That’s Life de Sham 69, qui venait de sortir. Avec mon argent de poche, j’ai aussi acheté Le premier LP des Buzzcoks, le second des Only Ones, et le second de Motorhead. En ’81 j’ai trouvé Sexual, le single de UK Decay, chez Bunker, et j’ai vraiment accroché ; Ensuite, le dirais Indoor Life des Hypnotics, putains de riffs tueurs et un sens de l’humour à couper au couteau ; Sens of Solitude, des Stratford Mercenaries, avec Steve Ignorant, on pourrait passer leur titre Sunday Morning Neighbours à mon enterrement, ou alors Cutain Call des Damned ; Generation Indigo de Poly Styrene, pour lui rendre hommage. Elle est partie un mois après la sortie de cet album, qui est un mélange hybride de pop moderne, très londonien – ça me rappelle des trucs qu’on entendait quand j’ai bossé dans une grosse discothèque de Londres. Un mélange de rock, reggae, hip-hop, qui fait parfois penser à Blondie, et on y ressent l’influence de la musique de P!nk, comme sur bon nombre de chanteuses pop actuelles, mais Poly a toujours été une originale. J’ai été agréablement surpris de découvrir qu’elle avait sorti un single en 1976, Silly Billy, du rocksteady exotique, sous son vrai nom, avant de jouer dans X-Ray-Spex. Elle a donc ensuite repris ce style pour son album de 1981, Translucence, que je trouve toujours aussi émouvant ; et l’album de la reformation des Slits, Trapped Animal, pour rendre hommage à Ari Up, partie alors qu’elle témoignait toujours autant d’originalité, avec ce chevrotement unique dans la voix. J’ai aussi bien aimé ses projets parallèles comme New Age Steppers, au sein de la scène reggae dub de Brixton, d’où ont émergés des perles comme celles du collectif Singers & Players. Et sans oublier l’album de 2008, Repentance, de Lee Scatch Perry, ce fou génial, auquel Ari a participé. J’ai lu des réactions de fans de Perry, des conservateurs, qui disaient être déçu et trouvaient ce disque nul, alors que c’est une perle d’inventivité dans le genre. Je vais quand même faire l’effort de citer quelques disques français, comme le premier album de La Souris Déglingée et Animal Factory d’Oberkampf, et des trucs plus improbables comme Pourquoi es- tu si méchant ? de Super Freego ou Press Color de Lizzy Mercier Descloux. J’ai toujours eu un faible pour les atypiques. Et AnA M, Histoires sans fin, succulent. J’ai aussi eu ma phase Pebbles et suis friand des trucs diffusés par Kill By Death Records. Quant au psychobilly, les Sting Rays sont restés mes préférés, bon d’accord les Meteors, Escalators et Washington Dead Cats ! Hey Hawaii Samurai ! Et Geza X and the Mommymen, You Goddam Kids ! Je peux pas l’oublier : The Deadbeats On parade, essentiel, mais j’aime aussi On Tar Beach, des Dead Beats de Susy May. Mon grand père disait qu’une vie ce n’était pas suffisant pour apprendre le violon, et en découvrant Jimmy Bryant, j’ai cru mourir.

Buanax : Demain, je me lance dans l’édition, quels conseils tu me donnes ?

Ladzi : Ben bon courage mon gars, c’est la merde ! Non, sans rire, mais faut être très bosseur et disponible. C’est plus de boulot d’éditer une traduction qu’un texte en français, car y a des étapes de plus. Comprendre le texte est une chose, mais l’interprétation et la bonne écriture dans notre langue est le plus difficile. Et aussi c’est un vrai travail, pas comme musicien, fainéant va ! Je plaisante bien sûr, mais beaucoup le pensent encore de nos jours. Les plus débiles et les plus attardés ne sont pas toujours ceux qu’on croit. Et ce sont les premiers à prendre les autres pour des cons. Comme pour beaucoup de choses il faut s’investir de sa personne, ne pas dénigrer les bons conseils et se fier à son sens de l’odorat. Mais je ne suis pas du genre à en donner, je ne suis pas el professor, plutôt un élève permanent, ce qui implique de faire des erreurs, de savoir les apprécier, mais sans que cela soit un frein pour continuer. Ne jamais baisser les bras !

Buanax : D’autres projets en vue ?

Ladzi : J’avais envie de travailler sur Let The Fury Have the Hour, The Punk Rock Politics of Joe Strummer, d’Antonino D’Ambrosio. Je lui avais écris chez Avalon Publishing. Une personne m’a répondu que ça serait difficile car il me faudrait demander des autorisations aux ayants droit figurant à la fin du livre, y en a deux pages et sans aucun contact. En effet  il y a beaucoup d’extraits d’article de magazines. J’ai essayé de trouver les contacts sur le Net, sans résultats. J’ai demandé s’il pouvaient me les envoyer et n’ai pas eu de réponse. J’ai donc lâché l’affaire en pensant que Joe avait été floué et qu’il devait se retourner dans sa tombe. Mais on a signé d’autres livres, dont The Story of Crass de George Berger, une mine d’infos sur la période Thatcher, en cours de traduction par Christophe Mora de Stonehenge Records. Et puis, tout récemment, Burning Britain de Ian Glasper, sur lequel se collent quatre traducteurs.

Buanax : Où a-t-on le plus de chances de te croiser ? Dans un salon du livre, une manif, un concert ou à la poste ?

Ladzi : Dans la forêt, lieu de ressources naturelles, mais difficilement, c’est pas une forêt commerciale ! C’est pas pour faire l’ermite, il m’arrive encore d’aller à des concerts. Dans les manifs c’est plutôt rare, j’en ai tellement fait étant petit que j’ai été sevré, mais ça n’empêche pas d’avoir une opinion et de l’exprimer si on m’en donne l’occasion. A la poste que pour les paquets et acheter des timbres, grâce au facteur qui a fait mettre une boîte au lettres plus grosse car je lui filais régulièrement les commandes de plus d’un bouquin ou deux qui ne rentraient pas. Ça me permet d’être écolo en évitant de faire seize kilomètres aller-retour en bagnole pour allez à la poste. Positif, positif ! Et ici, le vélo, n’y penses même pas ! Du moins pour monter. Pour le reste, on ne peut pas être au four et au moulin à paroles.