LAISSE LA COLÈRE S’EXPRIMER – Joe Strummer, le punk et le mouvement de la citoyenneté mondiale, Antonino D’Ambrosio, par Blam Blam, Punkulture 9, décembre 2021

Joe Strummer, Laisse la colère s'exprimer, Antonino D'ambrosio rectoLAISSE LA COLERE S’EXPRIMER, Joe Strummer, le punk et le mouvement de la citoyenneté mondiale. ANTONIO D’AMBROSIO avec 18 contributeurs ! (Rytrut 2020).

« Laisse la colère s’exprimer » est une passionnante compilation d’articles collectés au fil du temps sur ce bon vieux Joe et la nébuleuse Clashienne ! Cela commence avec l’interview des Clash en 1976 pour le fanzine Sniffin’ Glue et cela se poursuit avec des traductions d’articles de presse anglophones très intéressants (Ah ce reportage en immersion de Sylvie Simmons sur la tournée US ’79 !) jusqu’à une interview de Joe publiée post mortem en 2003. Les documents d’époque sont mixés avec d’autres papiers spécialement écrits pour ce livre coordonné, accouché et écrit, en partie, par l’américain Antonino d’Ambrosio, et qui est sorti en anglais en 2012. Antonino a aussi réalisé un film documentaire en parallèle « Let Fury Have the Hour » !

Les nombreux contributeurs, qui vont de Wayne Kramer du légendaire groupe « révolutionnaire » MC5 à Chuck D de Public Enemy en passant par un bel éventail d' »écrivants », dressent un portrait touchant et sensible de Joe tout en analysant et disséquant son œuvre, son influence, son aura, ses « combats artistico-politiques » et le lien qu’ils entretiennent avec notre chanteur guitariste rythmique, parolier et acteur intermittent disparu en 2002 à 50 ans. Le livre ne donne pas dans le culte de la personnalité (combattre l’égo souvent prêt à déborder, s’investir dans le collectif et développer l’altruisme éclairé était l’un des mots d’ordre de Joe) et montre bien certaines contradictions inévitables du fameux punk rocker « gauchiste altermondialiste ».

Le bouquin, décrit aussi l’influence de la bande à Joe sur la musique, la culture… et la vie qui nous entoure. Et si la « révolution » clashienne n’a pas abouti sur des lendemains qui chantent, elle a inspiré beaucoup de rébellions musicales et de voix de traverses et a développé l’esprit DIY international (oui, un paradoxe de plus pour un groupe dont on suivait le match avec CBS dans la presse et sur certains disques !)

Sorti en catimini fin 2020 par Rytrut, qui avait déjà publié -entre autres- en français « Typical Girls » la fantastique bio des Slits (voir punkulture 4), « Laisse la colère s’exprimer » (plus de 350 pages denses illustrées avec photos et affiches) mérite vraiment le détour pour son originalité philosophique (ce n’est pas une bio), l’éclairage mis sur la résistance créative et l’ouverture d’esprit au monde et à la diversité musicale prônées et pratiquées par Joe et ses amis !

Blam Blam, Punkulture 9, décembre 2021

Présentation du livre

Joe Strummer, Laisse la colère s'exprimer, Antonino D'ambrosio recto

LAISSE LA COLÈRE S’EXPRIMER – Joe Strummer, le punk et le mouvement de la citoyenneté mondiale, Antonino D’Ambrosio, chronique Underground Bokal Resistance, Feuille d’infos n°12, décembre 2020

Joe Strummer, Laisse la colère s'exprimer, Antonino D'ambrosio recto

LAISSE LA COLÈRE S’EXPRIMER. JOE STRUMMER, LE PUNK ET LE MOUVEMENT DE LA CITOYENNETÉ MONDIALE. Antonino d’Ambrosio, Éditions Rytrut. 392p., Nov 2020, 24€

Quel titre d’ouvrage ! Quelle somme de culture ! Quelle couverture ! Quelle surprise à la veille des fêtes de Noël ! Let Fury Have the Hour est le fruit de plus de vingt-cinq années de gestation. Pour l’auteur, tout a commencé en 1983 lorsqu’il a pour la première fois entendu The Clash beugler. Bien sûr, il connaissait déjà le groupe. Tout le monde le connaissait entre autre suite au succès international de Rock the Casbah mais c’est via Clampdown (Répression) qu’il a découvert, réellement découvert, la musique des Clash. Cette chanson lui a tellement parlé qu’elle semblait avoir été écrite pour lui. Plus qu’une simple rengaine, Clampdown devint son hymne personnel. Les Clash permettaient la rébellion et il fut persuadé qu’ils ne manqueraient pas à leurs engagements. Antonino fut dès lors libéré de ce sentiment de perdition lié à la perspective d’une vie passée à « porter du bleu et du marron », un vers tiré des paroles de Clampdown faisant référence aux couleurs des tenues standards des cadres « qui travaillent pour la répression » (NdT). Quand le punk est devenu un phénomène social et culturel en 1976-77, Antonino était bien trop jeune pour prendre part au mouvement ou pour comprendre cette musique qui, en l’espace de quelques années seulement, occuperait une place essentielle dans sa vie. Fils de parents immigrés italiens qui étaient férus de musique et lui apprirent qu’une mélodie possède un pouvoir nettement supérieur à celui d’un film, d’un tableau, ou d’aucune autre forme d’art :

« Une mélodie vous prend par surprise, vous empoigne pour ne plus lâcher prise, fait table rase de tout ce que vous teniez pour acquis. L’expérience est transcendantale. Édifiante. Valorisante. Émancipatrice. Je n’évoque pas ici la pop rose-bonbon et des bluettes sirupeuses que les radios nous servent ad nauseam mais d’un genre de musique dont les riffs dévastateurs envoûtent, dont les paroles invitent à la réflexion. Je parle de ce qui nous permet de garder la tête haute dans ce monde pour le moins inhospitalier, de groupes comme The Clash, d’artistes comme Joe Strummer. Le pacte que Strummer signait avec son public était garanti à vie. Vous pouviez prendre part à quelque chose de positif. Le changement s’opérait si vous étiez vous-mêmes prêts à changer. »

Comme tant d’autres, Antonino reconnait qu’il n’aurait pas pu découvrir cette musique à un meilleur moment et j’ai d’autant plus facilement bu ses paroles à longueur de pages que je m’y suis souvent reconnu. En écrivant ce livre, c’est à plusieurs générations qu’il fait appel avec un style personnel et convaincant et l’on ne peut que saluer l’excellent travail de traduction de Sébastien Jousselin et Paul Vincent tout comme la fastidieuse indexation (et mise en page) de Cripure (24p. !).

Tout comme pour bon nombre d’entre nous, Strummer a communiqué la force de croire à la résurgence des mouvements populaires qui avaient remporté de grandes victoires démocratiques dans les années 60. Les lettristes. Les situationnistes. Mai 68. Grosvenor Square (Parc de Londres dans lequel eurent lieu de grandes manifestations contre la guerre du Vietnam en mars et octobre 1968. NdT). Le Chili d’Allende. L’Automne Chaud en Italie. Tout se remettait en marche, sa voix et sa musique en attestaient. Rien ne servait d’attendre au bord de la route dans l’espoir que quelqu’un vous prenne en stop. Tout était question de DIY – pas pour toi, mais pour tous. Ensemble, nombre de gens furent unis pour une noble cause, renonçant à l’intolérance, embrassant la justice. Strummer avait ce don : à son contact, tout le monde se sentait appartenir à l’équipe, personne n’avait l’impression de n’être qu’un vulgaire consommateur. C’est l’une des plus belles prérogatives de la musique et ce livre, que je tacherai de synthétiser plus longuement qu’en reprenant des passages très parlant, en est le témoignage sincère et poignant. On ne pouvait espérer mieux que la parution pour la première fois en français en cette fin d’année d’un ouvrage devenu culte en anglais. Un futur grand classique en perspective de la « littérature rock » sans nul doute qui est découpé en différents actes (sous-divisés en essais au gré des interlocuteurs et contributeurs) correspondant aux diverses périodes de sa vie, du punk aux protest songs folk (Joe se reconnaissait entre autres dans Woody Guthrie), de la musique de films (Walker) au cinéma (Straight to Hell d’Alex Cox, Mystery Train de Jim Jarmusch…).

Tom Morello reprend pour héritage des Clash le discours d’intronisation au Rock and Roll Hall of Fame de 2003. Pour autres exemples que je retiendrai, l’embarras du choix étant conséquent, Michael Franti de Spearhead, dans l’Acte IV, Le monde mérite qu’on se batte pour lui ; « Le message sous-jacent que l’on retrouve dans la musique de Strummer, c’est que le monde peut être un endroit affreux, terrifiant (…) mais Strummer continua de mener le combat même lorsque sa musique ne passait plus à la radio ». Chaque partie offre à ses contemporains, et non des moindres – Tim Robbins, Not4Prophet, Chuck D, Billy Bragg, … ou encore (plus loin ou plus avant) Kristine McKenna, Carter Von Pelt, Greil Marcus, Sylvie Simmons, Denis Broe, Charlie Bertsch,… – l’opportunité de discuter de la marque indélébile que le chanteur a laissé sur leurs vies d’artistes, d’activistes et d’êtres humains.

Pour les novices, soulignons qu’à la fin d’une carrière intense et plurielle, bien qu’hélas trop courte (Joe est décédé tragiquement le 22/12/2002 d’une rare maladie du cœur à l’âge de 50 ans), alors que d’aucuns prétendaient qu’il était déjà une relique du passé eut égard à la fulgurance du génie des Clash qui, avec leurs quatre premiers albums, se sont faits une réputation inaliénable au Panthéon du (punk-)rock, Strummer nous a plus discrètement laissé trois albums, perles d’inventivité et de créativité, tant son potentiel semblait ne pas connaitre de limites, dans des styles radicalement différents, avec des apports exotiques, Sud Américain / Caraibéen ou world music : Rock Art and the X-Ray Style, Global a Go-go et Streetcore. Avec ces disques et autres productions (Mescaleros…) :

« Sa vision du monde s’était élargie de toutes parts et devint une source d’inspiration de circonstance. On ne peut qu’imaginer ce qu’il aurait pu accomplir par la suite. Comme il le disait lui-même : ‘Les meilleurs moments de n’importe quelle carrière sont ceux auxquels personne ne s’attend. (…)’ Strummer incarnait l’âme du punk rock et ses prédispositions à devenir mouvement social et politique.

Il ne s’agissait pas pour lui de simplement s’inscrire dans l’air du temps ou de se donner une contenance subversive, c’était un principe auquel il allait se consacrer jusqu’à la fin. »

Antonino d’Ambrosio est un auteur, réalisateur, musicien et artiste plasticien. On lui concédera également volontiers le statut de journaliste. Son livre A Heartbeat and a Guitar: Johnny Cash and the Making of Bitter Tears a été nominé au Belmont Book Award. Il a produit plus d’une quinzaine de documentaires dont No Free Lunch dans lequel apparait le comédien Lewis Black. Son film Let Fury Have the Hour a été sélectionné pour le festival du film de Tribeca. Il est aussi le fondateur de La Lutta New Media Collective : www.lalutta.org, une association de production médiatique activiste basée à Brooklyn, NY. Le livre inclut ses photographies ainsi que des illustrations de Shepard Fairey.

www.rytrut.com

Florent Mercier (Zoop Zine) Infoshop Bokal <lebokal@free.fr>

Présentation du livre