La Philosophie du Punk, Craig O’Hara, chronique Dr Jacques Coulardeau, La Galipote

 

LA PHILOSOPHIE DU PUNK
– Histoire d’une révolte culturelle –
CRAIG O’HARA

Dr Jacques Coulardeau, LA GALIPOTE, journal :

« Ce livre est fondamental pour les Français, alors même qu’il ne parle que peu des Français. Il explique, à partir du cas américain et du cas britannique, avec quelques pages en fin de livre sur le cas français, comment la musique est un média de protestation pour les jeunes. En premier lieu en tant que musique. Le punk a utilisé les sons, l’harmonie et le rythme pour pervertir les normes en cours. Rien que pour cette raison il est un élément fondamental de révolte de la jeunesse issue de la classe ouvrière dans un premier temps, des villes ouvrières et des banlieues ouvrières, contre l’ordre établi, en musique, mais aussi dans la société. Le livre montre comment cette révolte musicale correspondait à une révolte contre l’aliénation croissante de la société et elle rencontra les idées anarchistes et le mouvement anarchiste sur son chemin.

Il est difficile de comprendre en France que la musique est une superstructure culturelle qui joue un rôle fondamental dans l’expression et la prise de conscience idéologique. Nous en sommes encore à considérer que l’essentiel, ce sont les mots (voir Jolie Môme) alors que les jeunes considèrent la musique elle-même comme une façon de se démarquer de l’ordre établi. L’originalité des punks est qu’ils ont développé une mode vestimentaire rebelle, comme les skinheads d’ailleurs, comme bien d’autres groupes avant eux. Mais ils sont souvent allés plus loin en rejetant l’état, le gouvernement, la police, l’armée, comme des outils de domination et d’oppression inutiles pour la vie en société. Ils ont ainsi retrouvé le mouvement et la philosophie anarchistes : les hommes sont capables de se gouverner eux-mêmes, sans aucun appareil d’état, à condition de le vouloir et d’abandonner les valeurs immorales du capitalisme que sont la cupidité et la recherche du profit et de l’accumulation des biens matériels, pour mettre en avant une idéologie du partage des responsabilités, du travail et des biens : une économie de marché solidaire et communautaire en quelque sorte. Cela entraîne un fort engagement des punks dans les mouvements contre les discriminations (racisme, sexisme, homophobie, agisme, et bien d’autres y compris la discrimination vestimentaire : voile ou pas voile, string ou pas string ?) et contre l’exploitation irresponsable de la planète et de ses ressources, donc pour une écologie universelle, respectable de la nature et équitable pour les hommes, et dûment contrôlée par les hommes eux-mêmes.

Cela explique aussi leur engagement très fort dans l’antimilitarisme contre toutes les guerres sur le principe que l’armée est inutile par définition et que les armes sont des outils d’oppression et de rien d’autre. Un livre essentiel si on veut comprendre que l’idéologie de la jeunesse passe pour une bonne part par ses musiques. Mais une grande naïveté dans ce mouvement car les majors de l’industrie des loisirs ont vite compris que les CDs, les fringues et les produits « d’entretien » pour maintenir son look sont un marché juteux. Les tentatives d’économie coopérative sont rares et n’ont pas été un vrai succès, surtout qu’en France, un courant important de ces jeunes rejetés et marginalisés considèrent que le RMI est une situation sociale respectable et suffisante, du moins pour eux. L’aliénation et le rejet produit un sentiment de communauté et de reconnaissance dans le rejet lui-même et l’aliénation elle-même. Tout un chacun sait ‘depuis Rousseau et même avant que les esclaves peuvent être heureux s’ils se satisfont des conditions de vie que leur donne l’esclavage.

Cela donne aux mouvements idéologiques transformateurs la responsabilité de transmuer la marginalisation en action de changement de la société et non plus en estampille de pureté. »