Entertain Us, L’ascension de Nirvana, chronique Paris Move, janvier 2019

ENTERTAIN US / L’ASCENSION DE NIRVANA

Gillian G. Gaar // Rytrut

COUP DE CŒUR DE PARIS MOVE

Les Beatles connurent la Reeperbahn, et les Who se produisirent au Railway Hotel de Wealdstone. Les Stones en faisaient autant au Crawdaddy de Richmond, tandis que les Kinks papillonnaient de bar-mitzvahs en bals des débutantes. Tous les groupes majeurs ont en effet commencé petits, et les galères des débuts de la bande à Kurt Cobain, 25 ans après sa disparition, corroborent le caractère universel des vaches maigres pour toute bande en formation. Et pourtant, Seattle à la fin des eighties n’avait guère à voir avec le Londres des sixties, et Aberdeen encore moins avec Hambourg, Liverpool ou Manchester. Le regard d’insider de Gillian G. Gaar (rédactrice au fanzine local The Rocket, durant l’émergence de ce bouillonnement que l’on nomma le grunge) lui permet d’associer les sources les plus directes aux témoignages les plus éclairants. Au fil d’un formidable puzzle, ce pavé se dévore à la fois comme le journal détaillé de la saga d’un des plus puissants phénomènes musicaux de la fin du XXe siècle, et comme le roman tragique de l’un de ses plus flamboyants hérauts. Pour contexte et ferment de l’ascension de ce fleuron de la scène de Seattle du début des nineties, les rôles respectifs des autres bands locaux (Tad, Green River et Melvins en tête), mais aussi de la presse qui les soutenait, et enfin, celui (primordial) de ce label d’entrepreneurs foutraques et perspicaces que fut Sub Pop sont décrits avec pertinence et acuité. L’image d’insouciants branleurs dont on affublait alors NIRVANA est largement battue en brèche, tant la dévotion acharnée de Krist Novoselic et Kurt Cobain à leur art y transpire à chaque page. C’est ce qui rend si spécifique (et pourtant si universel) le parcours de ce garçon, qui aurait sans doute pu faire sienne l’antienne “Mon Dieu, préserve-moi de ce que je désire le plus”. Comme celles de la plupart des membres célèbres du club des 27, la psyché intime de Kurt conserve une bonne part de son mystère, mais cet ouvrage n’en constitue pas moins l’une des analyses les plus fouillées de la construction du phénomène NIRVANA, par delà le pathos et les faits divers.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder