Sur la Route avec les Ramones, Monte A. Melnick + Frank Meyer, chronique Sylvain Nicolino, Obskure.Com, janvier 2013

Sur la route avec les Ramones, Monte A. Menick + Frank Meyer, couverture © Jon Holmstrom

SUR LA ROUTE AVEC LES RAMONES
MONTE A. MELNICK + FRANK MEYER

par Sylvain Nicolino OBSKURE.COM, 6 janvier 2013

Les Éditions Rytrut se sont associées à plusieurs autres structures (Slime Zine, Emergences Records, Contre-Choc, Everyday is like Sunday, Didier DDD et Le Bruit des Caves) pour publier Sur la Route avec les Ramones.

Le contenu dense, comme toujours avec cet éditeur, présente les différents membres du groupe emblématique de la première scène punk new-yorkaise ainsi que le parcours chaotique mais cependant rectiligne de leur création. C’est Monte A. Melnick, souvent présenté comme le « cinquième Ramone » qui est au centre de l’étude. Manager, roadie, conducteur, assistante sociale, psychologue d’urgence, ami : c’est grâce à lui que le groupe a traversé tous les obstacles, personnels et professionnels.

On retient habituellement des Ramones le fun des mélodies et l’acidité d’une réputation de Dalton’s du punk-rock, mettant en avant la probable stupidité des musiciens et leur singulier look digne de ce que les BDs rock’n’roll donneront par la suite (on pense bien sûr à notre Margerin national). Ce livre, en allant au fond des choses dévoile une vérité toute autre et impose le respect.

Musicalement, les titres des Ramones sont devenus des tubes, directs, efficaces, variés et tapant juste à chaque couplet et refrain. Sur le plan humain, ce voyage dans l’envers du décor révèle les difficultés incroyables que Dee Dee, Joey, Johnny ou encore Tommy, CJ, Marky ont eu à vivre cette vie-là. Double réussite, donc, musicale (on le savait) et humaine (on le découvre mieux).

La vie de manager ne peut se conjuguer avec les fêtes à outrance : Monte A. Melnick a été souvent obligé de rester sobre, seul à bord, pour assurer toute la logistique du groupe en tournée. Les détails des trajets, des réservations d’hôtels, des contrats avec des salles, des ennuis de passeport aux pages toutes remplies, des restaurants à retenir, des bières à trouver et même les emplois du temps respectifs pour enregistrer des disques sont une riche source d’enseignements sur ce métier bien prenant. Un travail sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Une tournée, c’est à la fois des grandes vacances et un boulot interminable. En première ligne face aux désirs et caractères de toute une équipe, face aux vols de camion et à la nécessité de remplacer tout le matériel pour la date suivante, Monte ne tire néanmoins pas la couverture à lui mais dit, dans de courts et nombreux extraits d’entretiens, ce que fut sa vie. C’est le journaliste Franck Meyer qui discute avec lui, sur un ton détaché, donnant aussi la parole aux divers protagonistes et artistes de la période, obligeant chacun à réagir, à remonter le temps et à raconter ce que furent les Ramones.

Avec eux, on voit revivre le studio Performance où les New York Dolls pouvaient croiser Blondie, la compilation Nuggets fait résonner sa pop-rock bubble-gum, les groupes influents s’appelaient les Dead Boys, Stooges, Television, Talking Heads, The Dictators, les Runaways ou les oubliés Bay City Rollers. Paul McCartney faisait encore rêver jusque dans son nom d’emprunt pour louer des chambres d’hôtel (Paul Ramone, d’où le nom du groupe…), une époque revit, du temps où chez Disneyland, le public ne pouvait pas avoir les cheveux longs… Cependant, la discussion évite le piège de la chronologie trop précise et préfère aborder les choses par thématiques. Les enfances de Joey, Johnny et Dee Dee sont éloquentes et révélatrices de ce qui surviendra. La pseudo vision politique de Johnny est passée au crible de la désintoxication, entre provocation et manque de repères.

Le livre décolle vraiment lorsqu’en janvier 1975, dans ce qui n’est encore qu’un quartier pourri de Manhattan, les Ramones passent à l’action au CBGB : ils ont le look, l’attitude, la musique, la bonne sono, les paroles nappées d’humour noir. La recette terriblement efficace ne variera plus.

Rétrospectivement, pour ceux qui ont connu les Ramones comme une référence fondamentale (tous ceux ayant moins de 45 ans, en gros), il est étonnant de voir que le succès ne fut pas présent, du moins pas comme on aurait pu le croire. Les tournées s’enchaînent, les disques sortent régulièrement, le groupe vit. Mais, aucun titre du groupe ne passe sur les grandes radios américaines, rebutées par l’image du punk qui se télescope sur les parrains que sont les Ramones. Le milieu des émissions indépendantes est bien trop restreint pour faire un succès et les journalistes, ainsi qu’une partie du public, ont peur de ce groupe dont chaque membre semble prêt à la bagarre… Le mutisme des Ramones n’est pas qu’un style de vie. C’est aussi une caractéristique humaine. Les uns et les autres souffrent de handicaps dans leurs relations humaines. Non seulement leurs enfances ont laissé des traces douloureuses dans l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes, mais en plus les conditions de vie du groupe les coupent d’une destinée « normale ». Joey, Johnny et Dee Dee grandissent seuls, le groupe ayant happé la fin de leur adolescence ; leurs vies sont dévolues à la musique. Les troubles obsessionnels compulsifs de Joey sont ainsi décrits (de bonnes informations médicales sont reproduites), les douleurs liées à l’amour partagé entre Johnny et Joey pour Linda, les changements de caractère de Dee Dee et la souffrance causée par les abus…

Le groupe ne se parle plus, mais continue à vivre pour sa musique, persuadé qu’un jour la reconnaissance sera là, incapable sans doute de vouloir autre chose. MTV ne passe pas leurs clips (pourtant judicieusement tournés comme avec cet unique plan-séquence sur « I wanna be sedated »), les Ramones deviennent progressivement cultes sans avoir de tubes… Les maisons de disques se refilent le groupe, sans savoir comment faire progresser significativement sa réputation. L’arrivée de CJ, le baby-Ramone donne un second souffle à ces vétérans, leur permettant la jonction avec les années 90 et assurant ainsi leur emprise sur trois décennies de musiciens. Aujourd’hui, si Les Simpsons assurent le mythe en faisant des quatre des héros de dessin animé, les fashionistas achètent en magasin branché l’un de ces T-shirts (la mise en place du merchandising est d’ailleurs l’objet de belles passes d’armes) qui assurent une soit-disant crédibilité punk-rock. Triste destinée que trois des Ramones ignoreront, heureusement.

On sort du livre, non pas conquis (qui ne l’était pas?) mais attendri par le tragique et le burlesque de ces vies cassées qui ont malgré tout réussi à donner leurs meilleures pulsions au rock. Il est frappant de s’interroger sur ce que serait devenu chacun d’eux sans le groupe. La musique leur a permis de surmonter leurs troubles, leur a donné l’illusion d’une famille tout autant que la grâce de concerts volés à la malchance, à force de talents, à force de travail. Des ouvriers du punk-rock, à mille lieux de l’escroquerie ironiquement déployée par la bande de McLaren…

Cerise sur le gâteau, en plus des très nombreux visuels en couleurs (dont flyers, affiches, pass backstage, cartes postales envoyés par Monte, photos personnelles…), le livre dresse la liste des concerts de 1974 à 1996 et s’enrichit de quatre marque-pages collectors : 1, 2, 3, 4 !

Sur la Route avec les Ramones / Au coeur de la Machine écrit par Monte A. melnick et Franck Meyer 312 pages