La Philosophie du Punk, Craig O’Hara, Chansons d’Amour, Crass, article « Favorable à un retour de l’esprit du mouvement punk », Le Vide Poche, février 2008

Le Vide Poche, le blog dédié au planning stratégique, 15.02.2008

– Favorable à un retour de l’esprit du mouvement punk –

Retour sur l’année 1977, symbole d’une révolte culturelle situationniste, anarchiste et rock’n roll. Avec les Sex Pistols et Clash comme détonateurs, et Crass en activistes radicaux.

«Chaque année, une nouvelle génération d’adolescents ressent la même colère face à l’hypocrisie du monde, de son environnement, et se tourne vers le Punk.»

Le Punk est-il mort? Est-il né à Londres ou à New York? Le groupe punk ultime: Les SexPistols ou The Clash? Ces questions nourrissent certainement des discussions enflammées aux quatre coins du monde, et ce n’est pas près de s’arrêter. Car, plus qu’un courant musical ou une mode, le punk est d’abord «un état d’esprit» – tous ses adeptes en conviennent. Et on sait que l’esprit est immortel. Il n’est donc pas réductible à ses clichés: punks de pacotille photographiés sur Trafalgar Square (où on ne les trouve plus d’ailleurs), punks à chiens faisant la manche, auxquels l’émission «Tracks» d’Arte consacre ces jours-ci un cycle jubilatoire.
La subculture punk se décline en une foule de slogans, looks, visuels, œuvres littéraires et cinématographiques. Et bien sûr en musique – bruyante, chaotique, anarchique. Sans règles établies, accessible à tous selon le principe do-it-yourself opposé aux hiérarchies sociales et culturelles. Le punk-rock, urgent et viscéral, est le médium fédérateur d’un mouvement par nature éclaté – anarcho-punk, hardcore, oï, skinhead de gauche ou de droite…
On peut dater le big bang du Punk au 26 novembre 1976 avec la sortie du premier single des Sex Pistols, ‘Anarchy in the U.K.’, ou plus généralement à 1977, «année punk» marquée par la sortie de ‘The Clash’, premier album du groupe éponyme, ‘In the City’ des Jam, ‘Damned, Damned, Damned’ des… Damned, ‘Stranded’ des Saints australiens, ‘Young, Loud and Snotty’ des Dead Boys new-yorkais et surtout ‘Never Mind the Bollocks’, uniquealbum des Sex Pistols. A sa sortie, ce brûlot vitriolé, désormais classé chef-d’œuvre intemporel du rock, est attendu avec fébrilité car les Pistols ont créé un mini-scandale le 1er décembre 1976 dans l’émission de TV populaire de Bill Grundy: éméchés, Johnny Rotten et son groupe, accompagnés de la chanteuse Siouxsie Sioux, ont proféré des obscénités impensables à cette époque prude et moralement répressive.
Contre le statu quo
«Qu’arrive-t-il à notre jeunesse?», se demande l’Angleterre face à ces gamins débraillés, bardés d’épingles à nourrice et les cheveux colorés, qui multiplient rictus défiants, doigts d’honneur et blasphèmes, en «pogotant» sur une musique assourdissante. Sur ‘God Save The Queen’, une attaque frontale contre la reine Elizabeth II en plein jubilé d’argent, Rotten éructe «There is no future in England’s dreaming»: le réveil pour l’establishment est brutal.
«Le chômage était élevé, le futur sombre, la fin du monde apparaissait comme une option crédible», explique Craig O’Hara. Auteur de ‘La Philosophie du Punk’. Histoire d’une révolte culturelle, il résume ainsi le sentiment de désillusion qui prévalait: «Les années soixante avaient fait naître des espoirs qui ont été anéantis dans la décennie suivante par un style de mauvais goût, de mauvaises drogues, une musique médiocre et la menace de la guerre nucléaire. Le Punk est apparu comme une alternative excitante et ouverte à tous, filles et garçons.» La rupture est consommée: Joe Strummer des Clash proclame «Ni Elvis ni Beatles ni Rolling Stones en 1977»; les vieux au placard!
«En 1977, j’avais 13 ans», se souvient Ladzi Galai, fondateur des éditions Rytrut et traducteur de La Philosophie du Punk. «Je vivais dans un quartier ouvrier de la banlieue grenobloise, tout le monde était à la disco, je passais pour un farfelu. La force de la musique punk et la remise en question des idées m’ont immédiatement attiré. Avec un pote d’un quartier voisin, on mettait toutes nos économies dans les disques, sur lesquels j’ai commencé à chanter avant d’écrire mes propres morceaux. Depuis l’âge de 7 ans, j’allais à l’école de musique, où j’ai appris les bases du piano et de la trompette. J’ai arrêté à 15 ans pour m’acheter une basse, avec mon premier salaire d’un boulot d’été.»
Ladzi Galai a suivi le parcours du parfait punk-rocker: il a joué dans des groupes, monté un label de cassettes, publié des fanzines. «Mon attachement à cette culture reste fort», dit-il. Aujourd’hui, ses éditions publient logiquement des ouvrages consacrés à des auteurs contestataires: l’intégrale des textes du groupe hollandais Trespassers W – ceux de Jello Biafra, ancien leader des Dead Kennedys, sont en cours de traduction. Sous le titre Chansons d’amour, on trouve aussi l’œuvre copieuse de Crass, collectif anarchiste radical – séparé en 1984 –, dont la colère doit être comprise comme une déclaration d’amour à l’espèce humaine et un refus de son exploitation sous toutes ses formes (lire page suivante).
Coup marketing
En 1978, Crass chantait déjà «Punk is Dead»: «CBS promeut les Clash / Pas pour la révolution, Juste pour le cash (…) / Les mouvements sont des systèmes et les systèmes tuent.» Inutile de le nier: passé le premier choc, le Punk s’est mué en un business lucratif. C’est même dès le début un coup marketing, orchestré par Malcolm McLaren, compagnon de la styliste Vivienne Westwood et propriétaire de la boutique «SEX» sur King’s Road. En 1974, à New York, McLaren a fréquenté le club CBGB, il a vu les Ramones, les Neon Boys de Tom Verlaine et Richard Hell – considérés comme les premiers groupes punks avec les Stooges d’Iggy Pop –, il a même managé les New York Dolls.
Flairant le pactole, à son retour à Londres, il organise des auditions et crée de toutes pièces les Sex Pistols. Lesquels en concevront un mélange de haine et de gratitude. Ephémères, ils implosent en 1978 après une tournée américaine catastrophique marquée par les frasques du bassiste junkie Sid Vicious.
«McLaren était le Dr Frankenstein et les Sex Pistols sa créature incontrôlable», résume Pierre Mikaïloff, qui publie un Dictionnaire raisonné du Punk. «Collier de chien», «Doc Martens», «fanzines», «Giscard», «Billy Idol», «héroïne», «Le Palace», «Sid Vicious»: en tout près de 400 entrées cernent avec une subjectivité assumée la culture punk, ses vêtements, ses objets, ses personnalités, ses dates, sa musique, «tout ce qui a caractérisé une période brève mais intense». Pour Pierre Mikaïloff, le Punk est un son – «tempo rapide et métronomique, guitares saturées, voix juvénile et criarde» – mais c’est aussi les visuels de Jamie Reid, collages d’inspiration situationniste, et le look – jeans et t-shirt étriqués, blouson de cuir, baskets, mèches hérissées ou petite crête – qui réapparaît chez les stylistes «punk chic».
De Londres aux Halles
L’ouvrage est préfacé par Patrick Eudeline, écrivain, critique rock et importateur du Punk en France avec son groupe Asphalt Jungle. Car, souligne Pierre Mikaïloff, «c’est la seule fois dans l’histoire de la musique qu’un mouvement s’est développé simultanément aux Etats-Unis, en Angleterre et en France.» Tandis qu’«en 1976, Londres ne comptait pas plus de 200 punks», à Paris, Yves Adrien de Rock & Folk et Eudeline au magazine Best avaient leur stylo branché depuis des années sur les proto-punks de Detroit et New York. «Eric Debris (futur chanteur de Metal Urbain) faisait régulièrement le voyage de Londres et en ramenait des disques. Une petite communauté se passait le mot à travers les concerts du Gibus et les boutiques des Halles.» Les Stinky Toys, Asphalt Jungle, Starshooter, Metal Urbain seront les fers de lance de la branche française du punk, qui n’a pas à rougir. Au contraire, estime Pierre Mikaïloff: «Metal Urbain a innové avec sa boîte à rythmes et est devenu culte. Ses singles sont des collectors qui se vendent 200 dollars aux Etats-Unis.»
Finalement, que reste-t-il? «Des disques, dont beaucoup de classiques, des films underground, et des écrits» – de Jon Savage, Greil Marcus, Lester Bangs, Nick Kent, et en France Yves Adrien, Patrick Eudeline ou encore le Jeune homme chic d’Alain Pacadis, journal d’un pigiste à Libé le jour, dandy ravagé la nuit. Bref, les plus illustres critiques rock, autant acteurs qu’observateurs.
Le punk ne meurt pas, il vieillit, même plutôt bien. A condition d’en préserver l’esprit. «C’est un phénomène international», analyse Craig O’Hara dont l’ouvrage a été traduit partout (France, Brésil, Chine, Turquie, Russie, Lituanie…). «Lentement mais sûrement, le Punk a essaimé sur la planète. Et chaque année, une nouvelle génération d’adolescents ressent la même colère face à l’hypocrisie du monde, de son environnement, et se tourne vers le Punk.»

RODERIC MOUNIR

Note :
Craig O’Hara, «La Philosophie du Punk. Histoire d’une révolte culturelle», avec suppléments «Sur les traces de l’Hexagone» par Ladzi Galaï et «Etat des lieux» par Florent Mercier, Ed Rytrut, 2003, 232 pp.
Pierre Mikaïloff, «Dictionnaire raisonné du Punk», préface de Patrick Eudeline, Ed. Scali, 2007, 304 pp.