L’Histoire de Crass, George Berger, chronique Pamalach, Horns Up, novembre 2017

 

Crass

L’histoire de Crass

par George Berger

Chronique de Pamalach, Horns Up, 29/11/2017

Il n’existe que très peu de groupes comme CRASS. L’influence politique et musicale qu’ils ont eut sur la scène punk rock anglaise et internationale aurait dû les amener à être aussi connus que THE CLASH ou SEX PISTOLS… Mais c’est hélas très loin d’être le cas. Phénomène absolument unique du mouvement Punk Britannique, CRASS a poussé jusqu’à ses limites le concept du DIY, refusé de jouer les règles du music business et grandement contribué au développement de l’anarcho-punk avec quelques autres groupes de l’époque.

Ne voulant pas se contenter d’un simple discours de façade, les membres du groupe vivaient collectivement dans une maison à la campagne (La Dial House), proposaient et expérimentaient des modes de vie et de production alternatifs, imprimaient leurs pochettes de disques, affiches et fanzines, dérapaient sur des modes d’expression aussi musicaux que visuels et ont vraiment « enquiquiné » le gouvernement Thatcher à l’époque de la guerre des Malouines… A tel point qu’ils eurent des ennuis judiciaire qui leur coûtèrent très cher.

Les termes sont aujourd’hui galvaudés, mais CRASS a été un authentique groupe iconoclaste, figure de proue d’un mouvement social, politique et musical. Bien avant les mouvements altermondialistes et anti-globalisation, CRASS développait au travers d’une attitude positive et pacifiste des discours finement subversifs qu’ils assumeront à 100% et tout au long de leur carrière.

Si toute une génération de punks ont voué un véritable culte à CRASS, le groupe est plus difficile à appréhender que ce ne qu’il n’y paraît au prime abord et ses messages, tout autant que sa musique, n’ont peut être pas été compris comme l’aurait souhaité le combo. Choisissant une direction dans laquelle il ne pouvaient au final que s’autodétruire, CRASS laisse derrière lui un sillon d’albums variés et d’idées fortes, plus sincères et plus vraies que pour énormément de groupes qui pourtant ramènent leurs gueules à grands renforts de phrases toutes faites et de petites provocation élimées. Cette biographie rigoureuse et passionnante est alimenté d’interview récentes de tous les membres du groupe original (excepté Phil Free) ce qui fait qu’en plus de la vie du groupe on profite du commentaire des musiciens et de leur regard sur les décisions qu’ils ont prise près de 40 ans plus tôt. Clairement, ce livre est une perle et CRASS un groupe immensément riche, sincère et passionnant.

CRASS, c’est avant tout l’histoire de la rencontre entre Penny Rimbaud, jeune artiste avant-gardiste, et Steve Ignorant, fan de punk et locataire de la Dial House près d’Epping. Ensemble ils commenceront à composer des chansons batterie/chant et de fil en aiguille, ils seront rejoint par d’autres artistes issus de milieux et de cultures plutôt diverses : Andy Palmer (guitare rythmique), Gee Vaucher (artwork/piano/radio), Peter Wright (basse), Eve Libertine (chant), Joy de Vivre (chant), Phil Free (guitare solo) et Mick Duffield (films et réalisation). Au départ uniquement suivis par une pincée de fans (dont la majorité était composé des… UK SUBS !) ils se bonifieront très vite en éclatant les carcans limitatifs des idées et du style punk « traditionnel ». Chanson, films, collage sonore, happening, graffitis ou encore manifestes, CRASS a expérimenté de nombreux modes d’expressions tant qu’ils servaient leurs messages et leur vocation artistique.

Tous vêtus d’uniformes noirs, les musiciens avaient opté pour un logo qui pour certains cachait une svastika en son sein (en plus de la croix chrétienne et d’oripeaux du drapeau du Royaume-Uni) ce qui leur attirera bien vite des ennuis. Ils se feront rapidement taxer de fascistes même si leurs thèmes libertaires, féministes et humanistes tendaient à prouver que leur symbole était tout, sauf une déclaration d’amour au nazisme. Cela tend à démontrer, si besoin est, qu’à bien des égards, la forme peut prendre le pas sur le fond… Et ce n’est pas un groupe comme LAIBACH, lui aussi grand amateur des jeux de pistes enfumés, qui dira le contraire ! Comme pour d’autres artistes mal compris (ou prenant un malin plaisir à jouer avec les codes), certaines incompréhension suivront le groupe jusqu’à sa fin et entraîneront bien des problèmes comme, par exemple, dans leur « relation » avec les skins.

A ses débuts, le groupe ne souhaitait pas leur interdire l’entrée à leur concert, argumentant qu’ils ne voulaient pas avoir uniquement devant eux un parterre de fans tout acquis à leur cause. Ils espéreraient ainsi leur faire entendre d’autres idées que celles qu’ils étaient habitués à entendre et ainsi leur amener des éclairages différents. Malmenés à plusieurs reprises par les forces de l’ordre, menacés et inquiétés par le gouvernement, les membres du groupes ont néanmoins été jusqu’au bout de leurs convictions, finissant malheureusement par s‘autodétruire, écrasés par la pression extérieure et par les exigences qu’ils s’étaient imposés.

Agrémenté de photos inédites « L’histoire de Crass » ne fait l’impasse sur aucune des périodes du groupe et ose laisser apparaître ses fragilités et ses faiblesses même au travers de ce que les relations humaines révèlent de plus fragile. Subversif, toujours terriblement actuel et pertinent, ce livre délivre plus que l’histoire d’un groupe (aussi incroyable soit-elle) pour donner à voir via le prisme du punk rock la déliquescence du monde moderne et surtout, les pistes de solutions qui permettraient de le faire évoluer. Assez digeste (432 pages) mais rigoureux et précis dans ses étayages et analyses, ce livre s’adresse tout autant aux fans du combo qu’à ceux qui auraient envie de le découvrir. Je n’ai en effet fait que survoler la pensée et l’histoire du groupe, le livre traitant de nombreux sujets que je n’évoque pas dans cette chronique.

L’autre jour, au détour d’errances sur le net, j’ai lu le message d’un amateur de metal qui disait, à quelques choses près, que les punks c’était pas de douche, bière bas de gamme et recherches d’allocations diverses et variées. Bon, le gars a tout fait le droit de ne pas aimer le punk et d’être libre de penser ce qu’il veut… mais quand même, quand on sait ce qu’un groupe comme CRASS a fait, on se dit que certains raccourcis mériteraient parfois d’être mis face à la réalité de ce qu’ils avancent. Juste histoire que l’ardence de certains propos se trouvent refroidis face à la réalité de la musique et des actes posés par ce groupe pas tout à fait comme les autres.