L’histoire de Crass, de George Berger, Chronique vidéo Read’Em All, 10 mai 2020

Dix neuvième épisode de Read’Em All consacré à « L’histoire de Crass » aux éditions Rytrut. Groupe Pionnier de l’anarcho-punk britannique, Crass garde cette réputation de groupe iconoclaste qui aura fait feu de tout bois pendant que d’autres groupes se complaisaient dans le compromis. Beaucoup moins connu chez nous que les Clash ou les Sex Pistols, Crass reste un groupe à la trajectoire incroyable pour qui le « DO IT YOURSELF » n’était pas qu’un simple slogan vide de sens… –  Pamalach

CHRONIQUE VIDÉO du 10 mai 2020, durée 21:35

Regarder l’émission de READ’EM ALL consacrée à L’HISTOIRE DE CRASS, de George Berger, auteur anglais et biographe de Crass.

Chronique L’histoire de Crass de George Berger, Read’Em All, Pamalach, 10 mai 2020

« Dix neuvième épisode de Read’Em All consacré à « L’histoire de Crass » aux éditions Rytrut. Groupe Pionnier de l’anarcho-punk britannique, Crass garde cette réputation de groupe iconoclaste qui aura fait feu de tout bois pendant que d’autres groupes se complaisaient dans le compromis. Beaucoup moins connu chez nous que les Clash ou les Sex Pistols, Crass reste un groupe à la trajectoire incroyable pour qui le « DO IT YOURSELF » n’était pas qu’un simple slogan vide de sens… » – Pamalach

CHRONIQUE VIDÉO durée 21:35 mn

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L’Histoire de Crass, George Berger, chronique Pamalach, Horns Up, novembre 2017

 

Crass

L’histoire de Crass

par George Berger

Chronique de Pamalach, Horns Up, 29/11/2017

Il n’existe que très peu de groupes comme CRASS. L’influence politique et musicale qu’ils ont eut sur la scène punk rock anglaise et internationale aurait dû les amener à être aussi connus que THE CLASH ou SEX PISTOLS… Mais c’est hélas très loin d’être le cas. Phénomène absolument unique du mouvement Punk Britannique, CRASS a poussé jusqu’à ses limites le concept du DIY, refusé de jouer les règles du music business et grandement contribué au développement de l’anarcho-punk avec quelques autres groupes de l’époque.

Ne voulant pas se contenter d’un simple discours de façade, les membres du groupe vivaient collectivement dans une maison à la campagne (La Dial House), proposaient et expérimentaient des modes de vie et de production alternatifs, imprimaient leurs pochettes de disques, affiches et fanzines, dérapaient sur des modes d’expression aussi musicaux que visuels et ont vraiment « enquiquiné » le gouvernement Thatcher à l’époque de la guerre des Malouines… A tel point qu’ils eurent des ennuis judiciaire qui leur coûtèrent très cher.

Les termes sont aujourd’hui galvaudés, mais CRASS a été un authentique groupe iconoclaste, figure de proue d’un mouvement social, politique et musical. Bien avant les mouvements altermondialistes et anti-globalisation, CRASS développait au travers d’une attitude positive et pacifiste des discours finement subversifs qu’ils assumeront à 100% et tout au long de leur carrière.

Si toute une génération de punks ont voué un véritable culte à CRASS, le groupe est plus difficile à appréhender que ce ne qu’il n’y paraît au prime abord et ses messages, tout autant que sa musique, n’ont peut être pas été compris comme l’aurait souhaité le combo. Choisissant une direction dans laquelle il ne pouvaient au final que s’autodétruire, CRASS laisse derrière lui un sillon d’albums variés et d’idées fortes, plus sincères et plus vraies que pour énormément de groupes qui pourtant ramènent leurs gueules à grands renforts de phrases toutes faites et de petites provocation élimées. Cette biographie rigoureuse et passionnante est alimenté d’interview récentes de tous les membres du groupe original (excepté Phil Free) ce qui fait qu’en plus de la vie du groupe on profite du commentaire des musiciens et de leur regard sur les décisions qu’ils ont prise près de 40 ans plus tôt. Clairement, ce livre est une perle et CRASS un groupe immensément riche, sincère et passionnant.

CRASS, c’est avant tout l’histoire de la rencontre entre Penny Rimbaud, jeune artiste avant-gardiste, et Steve Ignorant, fan de punk et locataire de la Dial House près d’Epping. Ensemble ils commenceront à composer des chansons batterie/chant et de fil en aiguille, ils seront rejoint par d’autres artistes issus de milieux et de cultures plutôt diverses : Andy Palmer (guitare rythmique), Gee Vaucher (artwork/piano/radio), Peter Wright (basse), Eve Libertine (chant), Joy de Vivre (chant), Phil Free (guitare solo) et Mick Duffield (films et réalisation). Au départ uniquement suivis par une pincée de fans (dont la majorité était composé des… UK SUBS !) ils se bonifieront très vite en éclatant les carcans limitatifs des idées et du style punk « traditionnel ». Chanson, films, collage sonore, happening, graffitis ou encore manifestes, CRASS a expérimenté de nombreux modes d’expressions tant qu’ils servaient leurs messages et leur vocation artistique.

Tous vêtus d’uniformes noirs, les musiciens avaient opté pour un logo qui pour certains cachait une svastika en son sein (en plus de la croix chrétienne et d’oripeaux du drapeau du Royaume-Uni) ce qui leur attirera bien vite des ennuis. Ils se feront rapidement taxer de fascistes même si leurs thèmes libertaires, féministes et humanistes tendaient à prouver que leur symbole était tout, sauf une déclaration d’amour au nazisme. Cela tend à démontrer, si besoin est, qu’à bien des égards, la forme peut prendre le pas sur le fond… Et ce n’est pas un groupe comme LAIBACH, lui aussi grand amateur des jeux de pistes enfumés, qui dira le contraire ! Comme pour d’autres artistes mal compris (ou prenant un malin plaisir à jouer avec les codes), certaines incompréhension suivront le groupe jusqu’à sa fin et entraîneront bien des problèmes comme, par exemple, dans leur « relation » avec les skins.

A ses débuts, le groupe ne souhaitait pas leur interdire l’entrée à leur concert, argumentant qu’ils ne voulaient pas avoir uniquement devant eux un parterre de fans tout acquis à leur cause. Ils espéreraient ainsi leur faire entendre d’autres idées que celles qu’ils étaient habitués à entendre et ainsi leur amener des éclairages différents. Malmenés à plusieurs reprises par les forces de l’ordre, menacés et inquiétés par le gouvernement, les membres du groupes ont néanmoins été jusqu’au bout de leurs convictions, finissant malheureusement par s‘autodétruire, écrasés par la pression extérieure et par les exigences qu’ils s’étaient imposés.

Agrémenté de photos inédites « L’histoire de Crass » ne fait l’impasse sur aucune des périodes du groupe et ose laisser apparaître ses fragilités et ses faiblesses même au travers de ce que les relations humaines révèlent de plus fragile. Subversif, toujours terriblement actuel et pertinent, ce livre délivre plus que l’histoire d’un groupe (aussi incroyable soit-elle) pour donner à voir via le prisme du punk rock la déliquescence du monde moderne et surtout, les pistes de solutions qui permettraient de le faire évoluer. Assez digeste (432 pages) mais rigoureux et précis dans ses étayages et analyses, ce livre s’adresse tout autant aux fans du combo qu’à ceux qui auraient envie de le découvrir. Je n’ai en effet fait que survoler la pensée et l’histoire du groupe, le livre traitant de nombreux sujets que je n’évoque pas dans cette chronique.

L’autre jour, au détour d’errances sur le net, j’ai lu le message d’un amateur de metal qui disait, à quelques choses près, que les punks c’était pas de douche, bière bas de gamme et recherches d’allocations diverses et variées. Bon, le gars a tout fait le droit de ne pas aimer le punk et d’être libre de penser ce qu’il veut… mais quand même, quand on sait ce qu’un groupe comme CRASS a fait, on se dit que certains raccourcis mériteraient parfois d’être mis face à la réalité de ce qu’ils avancent. Juste histoire que l’ardence de certains propos se trouvent refroidis face à la réalité de la musique et des actes posés par ce groupe pas tout à fait comme les autres.

L’Histoire de Crass, George Berger, article Zones Subersives, octobre 2016

Le punk anarchiste de Crass

Publié le 23 Octobre 2016, Zones Subversives

 La musique punk porte une démarche libertaire de créativité et d’auto-organisation. Le groupe Crass diffuse une critique sociale et un imaginaire libertaire.

En 1978, le mouvement punk semble s’achever. Sid Vicious est mort et le groupe phare des Sex Pistols disparaît. Mais le groupe Crass entend renouveler cette musique alternative devenue très populaire. « L’Allemagne a la bande à Baader et l’Angleterre a le punk. Et ils ne peuvent pas s’en débarrasser », indique un poster de Crass. Ce groupe s’affiche comme ouvertement politique et contestataire. Il n’hésite pas à s’afficher aux côtés d’un mouvement de lutte armée qui fait régner la terreur en Allemagne. Le journaliste George Berger propose de retracer L’histoire de Crass et du punk contestataire.

Dans l’Angleterre des années 1970, les grèves des mineurs incarnent la force des luttes ouvrières. Mais la crise économique permet l’émergence du nationalisme. Les partis politiques semblent impuissants et discrédités. La Angry Brigade attaque l’Etat à travers des attentats sans victime. Ces actions s’accompagnent de communiqués qui invitent les ouvriers à les rejoindre dans la lutte. Mais c’est le conformisme de la société de consommation qui prédomine.

En 1976, le punk déferle dans les médias pour scandaliser l’Angleterre puritaine. Ce mouvement devient populaire mais semble s’éclipser dès 1978. L’industrie du disque peut alors récupérer et édulcorer le punk qui se réduit à un simple look débarrassé de son contenu critique. Mais l’esprit punk perdure. Ce mouvement de jeunesse « offrait un chemin vers la libération individuelle et la découverte de soi et donnait une place aux exclus, aux romantiques, aux révoltés et à toutes les personnes qui cherchaient à vivre des vies moins ordinaires », décrit George Berger.

La culture DIY (Do it yourself) permet de s’organiser par soi même de manière autonome. Les groupes et les fanzines se multiplient. Le groupe Crass décide de placer le punk du côté de l’utopie et de l’anarchie.

Une musique expérimentale

Les membres de Crass se rencontrent dans les années 1960. Ils fréquentent la Dial House, une maison ouverte qui s’apparente à une communauté. Gee Vaucher est issue de la classe ouvrière et grandit dans la misère. Mais elle fréquente ensuite les Beaux-arts et découvre un espace de liberté. Elle rencontre des individus issus d’autres milieux sociaux, comme Penny Rimbaud qui grandit dans une famille de classe moyenne.

Mais le jeune artiste reste révolté contre les injustices et veut changer la société. Penny Rimbaud baigne dans une ambiance intellectuelle sensible aux discours subversifs et alternatifs. Gee Vaucher se politise aux Beaux-arts. Penny et Gee deviennent amants et partent s’installer à la campagne.

Penny devient prof mais se lasse rapidement de ce métier conventionnel. Il habite à la Dial House et héberge des amis pour la nuit. Ce lieu devient un espace de créativité. « Penny voulait que nous fassions les choses avec passion, qu’on les fasse pas parce que lui les désirait, mais parce qu’on ressentait que c’était comme ça quelles devaient être », témoigne Bernhardt Rebours.

Le groupe d’amis se lance dans la musique expérimentale pour rompre les structures mélodiques traditionnelles. Inspirés par John Cage, les artistes développent une musique d’avant-garde dans une démarche qui préfigure le punk. Ils créent le groupe Exit, un projet expérimental qui s’inspire également du free jazz. « Exit, c’étaient Penny et moi, et tous les gens qui se pointaient et voulaient y participer », décrit Gee Vaucher. Une dimension visuelle accompagne la musique avec la distribution de flyers colorés et des happenings. Ils s’inspirent des situationnistes, du théâtre de rue et du mouvement Fluxus.

 Des hippies aux punks

 Le mouvement hippie irrigue le punk. Les alternatives concrètes et la production locale peuvent évoquer la philosophie du punk. Mais la stratégie de la fuite hors du monde semble échouer. Les hippies doivent même subir la répression de l’Etat. Ce rêve naïf de paix et d’amour se heurte à la froide réalité. « Ne me parlez pas d’amour et de fleur, et de trucs qui ne peuvent pas exploser », chante Hawkwind. Le punk délaisse la fuite pour privilégier la destruction.

Mais les hippies influencent aussi cette critique des normes et des contraintes imposées par l’ordre social. « Il y avait beaucoup de discussions tout au long des années 1960. La libération sexuelle a été quelque chose d’important qui a profondément remis en question l’organisation traditionnelle de la société », souligne Eve Libertine. La diffusion d’une conscience critique et l’émergence du féminisme sont issus des hippies.

 Crass décide d’abandonner le punk trop expérimental pour devenir un véritable groupe de musique. Les femmes, tout comme Penny Rimbaud, insistent sur la musicalité et la créativité. Crass adopte également un look cohérent tout en noir, que ce soit les vêtements ou les instruments. Lorsque Crass est sur scène, avec le logo derrière qui peut fait penser à une svastika ou au drapeau britannique, l’image peut faire songer à un groupe crypto-fasciste. On est loin du flower power. Mais Crass veut aussi interroger les images et les préjugés.

La bande de potes décide désormais de se battre contre le conformisme. Ils inventent de nouvelles pratiques créatives, comme la diffusion d’un film pendant le concert. Surtout, ils développent la mode du graffiti aux pochoirs pour diffuser des slogans contestataires. « Des gens de tout le pays emboîtèrent le pas à Crass et se mirent à répandre des slogans politiques, à détourner des publicités et à subvertir la société », décrit George Berger.

 Un punk contestataire

 Le premier disque de Crass est vendu à un faible prix. Ce qui leur donne l’image d’un groupe intègre et authentique. Mais ses membres ne sont pas issus de la classe ouvrière. Les chansons tranchent avec le discours qui revendique le droit au travail. Crass exprime la colère de la jeunesse des classes moyennes qui refusent de s’intégrer dans le monde marchand. Les chansons critiquent la société de consommation et valorisent même le refus du travail. Un autre titre critique l’armement nucléaire et s’inscrit dans le mouvement pacifiste. Punk is dead dénonce les stars du punk qui deviennent une nouvelle élite sociale.

Crass affirme ses idées anarchistes, pacifistes et féministes. « Nous ne sommes pas d’accord avec ce qui se passe dans le monde. Nous n’allons pas nous laisser diriger et gouverner, personne ne nous dictera ce que nous avons à faire. C’est notre vie et nous n’en avons qu’une », répond Penny Rimbaud.

Les membres de Crass semblent déconnectés de la réalité politique et sociale de l’Angleterre de la fin des années 1970. Ils vivent à la campagne et ne subissent pas la violence de l’extrême-droite contre les squats. La Dial House s’apparente à une bulle hors du monde. Les musiciens semblent éloignés des combat de la classe ouvrière et ne voient pas venir l’avènement de Margareth Thatcher et de sa politique libérale.

 En 1980, Crass sort un split de 45 tours pour financer un centre social libertaire. Le groupe affirme davantage ses idées anarchistes. Les musiciens estiment qu’il faut élaborer une alternative sociale. Dans Bloody Revolutions, ils associent leur pacifisme à des idées révolutionnaires. La paix se réalise dans l’anarchie. Même si des débats traversent le groupe autour de la lutte armée. « Ce fut le moment où nous avons cessé d’être uniquement un groupe aux textes engagés, pour devenir une entité plus radicale, davantage impliquée dans l’univers du militantisme politique », témoigne Penny Rimbaud.

Crass sort de la marginalité et connaît un succès important. Le groupe décide de faire profiter de sa notoriété à la scène punk alternative. Les musiciens accordent des interviews uniquement aux fanzines et délaissent la presse commerciale. Ensuite, Crass Records finance les groupes émergeants, quelle que soit leur qualité musicale. Crass refuse également le merchandising avec la vente de badges et de tee-shirts.

 Des combats politiques

Le magazine pour adolescentes Loving est piégé. Ce titre de presse valorise le mariage, le conformisme et les normes esthétiques. Mais Crass parvient à proposer un titre qui figure en cadeau avec le magazine. Ce canular vise à dévoiler l’escroquerie de ce genre de média. Au même moment, Crass diffuse l’album Penis Envy qui évoque les thèmes du féminisme, de l’amour et du mariage.

Le groupe sort des stéréotypes virils du mouvement anarcho-punk. Smother Love critique l’amour et le conformisme du couple bourgeois. « Nous pouvons bâtir un foyer bien à nous, en prévision des petits qui vont suivre. La preuve de notre normalité et justification de notre avenir », chante Gee Vaucher. Contre le couple, considéré comme une arme de contrôle social, Crass valorise l’amour libre.

 En 1982, Crass sort Christ – The album, avec des titres musicalement très aboutis. La presse musicale et la famille sont des cibles de chansons. Un autre titre propose des extraits de discours de Thatcher et de reportages sur les émeutes de 1981. Dans Major General Despair, Crass articule anarchisme et pacifisme. La chanson relie la vente d’armes et la faim dans le monde. « Autant d’argent dépensé pour la guerre alors que les trois-quarts de la planète sont désespérément pauvres », chante Crass.

Mais la guerre des Malouines éclate. Thatcher déclenche une guerre contre l’Argentine et utilise le patriotisme pour détourner l’attention et gommer des problèmes sociaux. Crass se saisit de l’occasion pour dénoncer le chauvinisme et l’armée. Mais leur discours reste très minoritaire en Angleterre. Plus d’un millier de soldats britanniques sont tués dans cette guerre. Crass organise des concerts dans des squats. Le groupe dénonce les problèmes de logements et invite à l’auto-organisation. Crass participe également au mouvement pacifiste pour dénoncer l’armement nucléaire.

 En 1984 éclate la grande grève des mineurs. Thatcher veut liquider la classe ouvrière et liquider toute forme d’action collective. Tous les contestataires soutiennent alors les mineurs dans cette guerre de classe. Les punks organisent des concerts de soutien. Ils participent même aux piquets de grève. Deux cultures se rejoignent. Les ouvriers, malgré leur combativité, restent conformistes et rejettent notamment le féminisme. Les punks semblent éloignés de la lutte des classes. Mais ces deux mouvements convergent pour s’opposer à un pouvoir qui entend éradiquer toute forme de contestation.

Mais la passion qui anime Crass s’effiloche. Le groupe abandonne sa critique de la vie quotidienne pour se limiter à la politique classique, à grand coup de slogans simplistes et tapageurs. Ensuite, une décision judiciaire condamne le groupe à une grosse amende en raison de l’obscénité d’une chanson. Crass ne peut plus financer d’autres projets.

 Un groupe mythique

 Le livre de George Berger permet de bien retracer l’histoire de Crass. Il décrit bien le contexte social et politique dans lequel s’inscrit cette comète du punk anarchiste. Ce groupe permet d’illustrer les liens entre musique et politique. Il ouvre des réflexions sur l’importance de l’imaginaire et des contre-cultures dans la révolte sociale et politique.

George Berger évoque les déboires financiers du groupe mais ne critique pas la dérive de la professionnalisation. Crass devient une véritable entreprise qui illustre la dérive managériale du punk. C’est cette routine professionnelle qui peut expliquer le délitement du groupe et la lassitude. Même si Crass demeure un exemple d’intégrité. Le groupe priviligie ses propres désirs artistiques plutôt que la logique commerciale.

 Crass fait le choix de la marginalité et de l’underground. Au contraire, les Sex Pistols voulaient devenir un « poison à l’intérieur du système ». Crass parvient, depuis la marge, à créer une véritable scène punk alternative. Un label indépendant permet même de financer d’autres groupes et de créer un mouvement anarcho-punk. Le choix de l’hostilité à l’industrie musicale ne condamne pas à la marginalité et à l’invisibilité. Crass incarne un punk contestataire, politique et exigeant.

Le groupe parvient à se renouveler et ne se contente pas de simples discours de propagande. Une recherche musicale et une créativité permanente permettent à Crass de devenir un groupe phare en Angleterre. Son esthétique permet même de créer un imaginaire de révolte et de rejet du conformisme.

 Mais Crass montre également les limites de la contre-culture. Le groupe explose au moment du règne de Thatcher. Les grèves ouvrières sont brisées et la période est au reflux des luttes sociales. Crass incarne une révolte qui reste minoritaire. Malgré son succès public, les idées libertaires et pacifistes du groupe sont laminées par le rouleau compresseur patriotique et libéral.

Crass reste également un groupe qui baigne dans un milieu artistique et alternatif. Il ne sort de sa bulle que par obligation. La jonction entre les luttes ouvrières et la contre-culture du punk alternatif s’est révélée trop tardive pour devenir une véritable force politique. Néanmoins, Crass incarne un imaginaire contestataire à raviver. Malgré le côté vegan et puritain des membres du groupe, les chansons lancent un cri de guerre contre tous les conformismes.

 Source : George Berger, L’histoire de Crass, traduit par Christophe Mora avec Paul Vincent, Rytrut, 2016

L’Histoire de Crass, George Berger, chronique Sylvaïn Nicolino, Obsküre Mag, octobre 2016

Histoire-de-Crass-72George Berger – L’Histoire de Crass (Rytrut)

Obsküre Mag, 21 octobre 2016
Posté par Sylvaïn Nicolino
Artiste : Crass

Ce livre s’adresse aussi bien aux novices qui ne connaissent que peu de choses sur le groupe anarcho-punk Crass, qu’aux adorateurs qui n’avaient pas lu la version originale en anglais sortie en 2006.

Dans un style efficace, aux mots pesés, George Berger façonne un livre qui se lit comme un roman d’aventures. Le récit est chronologique et les très très fréquentes retranscriptions des remarques des membres du collectif (et de son entourage) apportent une multitude de regards qui se complètent. Des citations des paroles et notamment de bien longs extraits contextualisés du sublime texte The Last of the Hippies signé Penny Rimbaud (et présent dans le livret de Christ – The Album), permettent aussi de mieux faire sentir ce que fut Crass, hors la musique.

Paradoxalement, il n’est nul besoin d’écouter les disques sortis par Crass en lisant le livre (même si c’est toujours mieux). Ce n’est pas véritablement de musique qu’il est question ici, quand bien même George et les protagonistes reviennent sur absolument toutes les productions du groupe. Chose étonnante même, George se permet de critiquer bon nombre de ces disques dont les musiques, l’interprétation ou la visée ne lui ont pas plu. C’est gonflé, franc et plaisant.

Donc, la musique peut passer au second plan, et c’est vraiment pertinent. Bien sûr, la plupart des gens ont connu Crass par la musique et son influence stylistique a été énorme sur plus d’une génération, le livre ne le conteste en aucune manière. Non, la force, c’est ce parti-pris qui se fait jour progressivement : montrer que Crass dépassait pleinement sa bande-son.

Alors, pour traiter son sujet, George et ses interlocuteurs (Gee Vaucher, Penny Rimbaud, Dave King, Eve Libertine, Pete Wright, Steve Ignorant, Joy De Vivre, Phil Free… et tant d’autres !) ressuscitent la longue période s’étalant du milieu des années 1960 au milieu des années 80, d’un point de vue politique, social et culturel. Le ferment idéologique des Freaks et de leurs actions est minutieusement rendu pour comprendre que le punk à la sauce Crass était la suite logique de cet activisme.

On suit alors avec effarement ces années Wallies, Exit et free festival de Stonehenge. On découvre en détail la Dial House (y compris le nom des premiers propriétaires !), cette maison ouverte où vécurent la quasi-totalité des membres du collectif à un moment ou un autre. Tous les aspects recouverts par les cinq lettres de CRASS sont dans le livre : les musiques, oui, mais aussi le végétarisme et la conscience bio, la volonté d’aller vers l’autosuffisance alimentaire, les notions rudimentaires de philosophie anarchiste qui les animaient, plus pratiques que théoriques, comme le reconnaissent les membres eux-mêmes qui liront plus tard ces notions politiques et sociétales. C’est un voyage et une aventure qui (re)prend forme, sous le regard morbide des usines Ford et de la haine de Thatcher envers son propre pays. Les débats entre eux/elles sont incessants sur les distinctions entre classes moyenne et populaire, les rapports à tenir avec les flics du coin et les skinheads nationalistes, le paternalisme post-colonial au sujet des luttes des noirs anglais, la défense du féminisme sous un angle novateur, du pacifisme, l’anti-nucléarisation du pays, les liens complexes avec le christianisme et l’Église, la vulgarité dans les textes, l’abolition des classes et la reconnaissance d’un prolétariat sans tomber dans la complaisance, l’utopie (?) des champs contre la dure réalité des villes, l’émergence du mouvement Oï ! de 1981, l’impact des visuels, pochoirs, films et tenues de scène…

Historiquement, on se heurte avec le groupe au fantasme des Swinging Sixties, à la catastrophe d’Aberfan en 1964, à la montée du chômage, à la guerre immonde des Malouines, à un canular mettant en voix Thatcher et Reagan sur fond de révélations données par un soldat devenu fan du groupe et expliquant comment tout est lié, à la dénonciation des liens entre la banque Barclays et le régime sud-africain de l’Apartheid, à la mort de Bobby Sands, au mouvement Stop the City !, aux grèves de mineurs de 1984, aux répressions policières envers les travellers, à la mise en place des centres anarchistes et au réveil d’un état d’esprit punk multiforme, et toujours présent et actif aujourd’hui…

Au milieu de tout ce déballage parfaitement coordonné par l’auteur (journaliste, romancier, essayiste) et qui ne vire jamais au chaotique, on côtoie les références culturelles implicites : le label Small Wonder qui fit jaillir Crass tout autant que The Cure ; Patti Smith dont la poésie en spoken word marqua si terriblement la direction de Crass (et quand bien même Steve Ignorant est loin d’en être fan, elle fait partie de ceux et celles qui ont initié cette diction poétique dans le monde du rock) ; la signature de Kukl (pré-Sugarcubes, un groupe vivement conseillé). La présence régulière de David Tibet ou les regards portés sur John Cale et Genesis P.Orridge ouvrent des fenêtres sur un univers jamais clos.

Ce qui glace progressivement, c’est que rien n’est confus et que tout prend sens dans une nécessaire lutte de plus en plus tranchante et obligatoirement tranchée. Le collectif se trouve pris par ses engagements idéologiques, assume au plus haut degré son rôle de porte-parole, comprend qu’il file dans une impasse énergique et politique face à un régime dictatorial (et dire que la mort de Thatcher n’a donné lieu à aucun réel procès !). L’influence de Crass sur eux-mêmes et les autres devient un poids trop lourd à porter, leur austérité leur pèse, la peur que génère leurs dénonciations des faits est contraire à leurs idées premières. La fête est finie, quelques soubresauts demeurent qui permettront à chacun de survivre à la terrible gueule de bois qui s’annonce. Il ressort de l’analyse psychologique à laquelle George Berger s’est livrée avec eux/elles une naïveté belle à en crever : pouvait-on seulement songer à faire la fête ? Pouvait-on encore croire au pacifisme ? Pouvait-on espérer changer le monde avec l’art ? Bien sûr que non, mais il FALLAIT le faire.

Plus que tout, c’est donc l’intégrité de toutes ces démarches musicales, poétiques, politiques, visuelles et humaines qui fait chaud au cœur, ces remarques des uns sur les autres, ces différences de goûts simplement énoncées avec une telle franchise… Finalement, Berger a eu raison d’élargir le propos : la musique de Crass est l’une des entrées dans cette histoire, mais pas la seule. Il ne suffit pas d’écouter les disques, de regarder les pochettes et de lire les paroles, il est nécessaire de s’immerger et d’approfondir. Ce livre vient donc de marquer une étape aussi importante que la diffusion de There is no Authority but Yourself, le documentaire d’Alexander Oey (2006).

« Tu parles de révolution, bien, c’est parfait / Mais que feras-tu quand l’heure viendra ? / Seras-tu l’un de ces gros bras brandissant sa mitraillette ? / Parleras-tu de liberté quand le sang commencera à couler / La liberté n’a aucune valeur si la violence est le prix à payer / Je ne veux pas de ta révolution / Je veux l’anarchie et la paix. »

George Berger – L’Histoire de Crass (Rytrut)

Traduction de Christophe Mora + Paul Vincent

432 pages, photos inédites, 24 €

L’Histoire de Crass, George Berger, article Entre les lignes entre les mots, juillet 2016

Histoire-de-Crass-72Présentation

Article Entre les lignes entre les mots, 13 juillet 2016

Le punk comme menace : Crass

J’ai un problème avec les livres des éditions Rytrut : j’essaye toujours de retarder le moment où je vais me plonger dedans car je sais que je ne pourrai pas en sortir avant plusieurs heures. Et avec L’histoire de Crass de George Berger, comme avec l’avant-dernier livre des éditions (Burning Britain de Ian Glasper), ça n’a pas manqué.

Crass, c’est évidemment ce groupe incontournable qui permettra au mouvement anarcho-punk de se développer. Mais au-delà de ça, que sait-on vraiment ? d’où venaient ses membres ? que signifie leur logo ? comment et de quoi vivaient-ils ? quelles étaient leurs motivations ? leur fonctionnement ?

Bien sûr, les personnes qui parlent anglais ont des réponses grâce aux interviews des membres dispo sur le net. Mais bon, tout le monde ne parle pas anglais ! Alors, il faut reconnaître ici le travail de traduction – impeccable – de Christophe Mora, qui depuis de nombreuses années fait le label Stonehenge. Grâce à lui les francophones ont accès à un des rares ouvrages consacrés à l’anarcho-punk. Vous aurez toutes les réponses dans ce livre, avec en prime une contextualisation politique, sociale et artistique.

Et sans en faire un paysage de carte postale, George Berger, l’auteur, nous permet de découvrir les parcours, les approches et la dynamique qui régnait parmi les différents membres du groupe : Gee Vaucher, Penny Rimbaud, Eve Libertine, Pete Wright, Mick Duffield, Phil Free, Joy de Vivre, Steve Ignorant et Andy Palmer. (Seul ce dernier n’a pas souhaité être interviewé par le journaliste.)

Bien avant l’arrivée du punk, certain-es des membres de Crass vivaient déjà ensemble dans la Dial House, une maison située dans la campagne de l’Essex qui se voulait ouverte à qui voulait bien y passer ou y vivre – elle existe d’ailleurs toujours avec cette même volonté autour de Penny Rimbaud et Gee Vaucher.

Plusieurs des membres de Crass, déjà trentenaire et parents au moment de l’explosion punk en 77, avaient un certain passif dans des activités artistiques ou politiques : fluxus, pacifisme, féminisme, végétarisme. Plusieurs venaient des Beaux-Arts et avaient déjà participé à des productions où se mêlaient son et peinture. L’expérimentation musicale avant-gardiste aux accents jazzy avait été aussi tentée. (Ça devait sonner à la façon de l’excellent groupe The Pop Group, mais sans doute en plus barré).

Crass s’apparentait plus à un collectif, une entité politico-artistique, qui cherchait à avoir une influence concrète sur la société. Il avait pris la mesure de l’échec du mouvement hippie et de sa naïveté ; mais il se considérait malgré tout en filiation directe avec ce mouvement, entre autres, pour la remise en question qu’il avait apportée et l’attention à soi à laquelle il invitait. Ce n’était pas un groupe punk à la façon des Sex Pistols ou des Clash ; pas des vendus qui faisaient du punk un objet de consommation plutôt qu’une contestation. Crass ne cherchait ni à se vendre à l’industrie du disque ni à profiter du marché, d’où des tarifs de disques les plus bas possible. Il s’agissait d’agir contre « le système » : de révéler les injustices (racistes, religieuses, militaires ou misogynes) et de s’opposer à toute forme d’autorité. Pour cela, le groupe déployait dans ces interventions un discours argumenté et réfléchi et mettait à disposition son savoir-faire pour produire de l’agitation politique – pochoirs, labels, concerts de soutien. Le groupe ne cherchait pas à flatter les egos de ses membres et résistait consciemment à la mise en avant de certains. Il incarnait une recherche de cohérence politique bien au-delà de la théorie. Les moyens d’expressions qu’il employait comprenaient bien sur la musique et le chant/le cri, mais aussi la vidéo, les détournements à la façon des situationnistes, ou encore la mise en place de canulars contre les agents du « système » : médias grand public ou personnalités du gouvernement.

Au-delà des textes diffusés sur divers supports, la force du groupe venait aussi du style incomparable et fascinant des illustrations effectuées par Gee Vaucher. Sa façon d’expliquer sa démarche mérite d’être citée ici, tant elle peut nous sortir des pochettes de disques affublées de têtes de mort si peu subtiles : « Je pensais qu’amener les gens à regarder des choses, dont la vue n’était en général pas agréable, était un outil essentiel. Qu’ils soient captivés sans réaliser qu’ils étaient en train de regarder un corps en décomposition. Je trouvais ça plutôt intéressant – s’ils prenaient un peu de recul ils comprenaient de quoi il s’agissait, mais il était trop tard. » (Gee Vaucher, p. 76) 

On apprend beaucoup sur Crass et le punk en lisant l’ouvrage de George Berger. Ses 400 pages se lisent très facilement et comprennent aussi 2 séries de photos d’époque. Il est accompagné d’une discographie et d’un index à la fin. Bien sûr on aurait aimé en savoir davantage sur certaines personnes qui les côtoyait de près, comme Poison Girls par exemple. Et vous y regretterez peut-être aussi les jugements et la critique anti-DIY de l’auteur. Mais le grand intérêt du livre est que la parole des membres de Crass y est largement relayée, avec : leur enthousiasme, leur doute, leur constance ou leur reniement politique – on ne peut considérer autrement l’attitude de l’ex-chanteur lorsqu’il dit qu’au moment de la fin du groupe : « On me fichait la paix. Je pouvais mater le cul de la barmaid sans être considéré comme un gros sexiste. (…) Les choses étaient allées trop loin. » (p. 370). Une preuve évidente que les rapports sociaux de sexe traversent les punks, avec des pratiques et des résistances masculines des plus conventionnelles contre le féminisme et les femmes.

Personnellement, j’ai toujours trouvé assez naïf ou trop individualiste (libéral ?) certaines propositions du groupe ; par exemple le « There is no authority but yourself ». Comme le dit Gavin Burrows dans le n°17 du zine Last hour : « [ils imaginaient] le pouvoir comme rien de plus qu’un état d’esprit ». Et en effet, même si cette affirmation sur l’autorité est belle et pleine de confiance, en définitive, désolé, j’ai beau travailler à être ma propre autorité, l’écrasement social est toujours là. La coercition que génère une société raciste, capitaliste et patriarcale ne disparaît pas grâce au coup de baguette magique d’un retour à soi. Par ailleurs, être son propre chef ne s’inscrit pas nécessairement dans une perspective révolutionnaire, anti-autoritaire.

Reste que malgré tout, je ne peux que reconnaître et admirer l’apport essentiel du groupe pour le développement et l’activisme anarcho-punk. C’est grâce à lui que les priorités ont été mises sur la critique sociale radicale et sur la façon d’être et d’agir plutôt que sur la production/consommation d’un style musical. C’est grâce à lui si le punk a été une tribune et une menace. Crass a été une preuve vivante que le collectif est plus grand que la somme de ses parties. Et c’est tout ce programme qui mérite d’être réactualisé.

L’existence de ce livre est un bon boulot des éditions Rytrut !

Titi-parisien

L’Histoire de Crass, George Berger, chronique France de Griessen, Longueur d’Ondes n° 79, octobre 2016

Longueur d’Ondes n°79, automne 2016

GEORGE BERGER
L’Histoire de Crass
Editions Rytrut, 24 €

Musique, films, artwork, performances, poèmes ; engagement politique… Crass fut bien plus qu’une figure culte de la scène punk anglaise : une manière de vivre collective, artistique, anarchiste, pacifiste, écologique, impliquée dans la défense des droits des animaux. Les membres de ce groupe férocement indépendant, actif de la fin des années 70 au milieu des années 80, vécurent ensemble dans la Dial House, refusant de considérer quiconque d’entre eux comme leader, d’être photographiés ou interviewés par les médias mainstream. Ils ont accepté, plusieurs décennies plus tard, de se confier à l’auteur George Berger, qui a également interrogé des proches, amis et témoins privilégiés de cette aventure. Un document extraordinaire, qui revêt une résonance particulière en cette époque où tout le fonctionnement du monde de la musique est à réinventer. « C’était comme être propulsé dans un univers ayant une perspective très différente sur le monde », témoigne Berhardt Rebours, page 37. Passionnant.

FRANCE DE GRIESSEN