Interview de Zoë Howe, Typical Girls? The Story of The Slits, par Huw Nesbitt, The Quietus, juillet 2009

Typical Girls ? L’histoire des Slits, Zoë Howe, 1re de couverture, photo : © 1978 Pennie Smith

TYPICAL GIRLS ? L’histoire des SLITS
ZOË HOWE

THE QUIETUS, 1er Juillet 2009 :

L’auteure parle : Zoë Howe, à propos de L’HISTOIRE DES SLITS, par Huw Nesbitt

(Article traduit de l’anglais par Paul Vincent)

À la veille de la publication de sa biographie, Typical Girls? The Story of The Slits, l’écrivaine Zoë Howe s’interroge sur les motivations l’ayant poussée à écrire ce livre, comment elle a permis aux membres précédemment désenchantées de se réunir, et pourquoi l’héritage du groupe est toujours important aujourd’hui.

Ça faisait des siècles que j’attendais que quelqu’un écrive un livre sur The Slits. Au fond, je voulais l’écrire moi-même, mais je me disais que c’était probablement le travail de quelqu’un d’autre. J’adorais leur son et leurs looks étranges, amusants, expérimentaux, et j’ai été inspirée par les choses inhabituelles que j’avais lues dans une interview, comme leur refus de s’étiqueter « féministe », ou même « punk ». Je voulais en savoir plus, alors j’attendais qu’un livre soit écrit à leur sujet. Au bout d’un certain temps, je me suis dit : « Et puis merde, je vais le faire moi-même, dans le style punk DIY. »

Nous étions en 2006 et l’anniversaire des 30 ans de Cut approchait, ce qui m’a permis de m’imposer un délai ; un facteur important qui m’a incité à me lancer dans le projet. Initialement, il était prévu que le livre se concentre principalement sur cet album, avec une petite part de biographie placée dans le contexte. Mais plus je m’entretenais avec les gens – il en ressortait des histoires et des personnages formidables, des sentiments inexprimés jusqu’alors – plus le livre évoluait vers quelque chose qui serait une célébration et un tour d’horizon de leur carrière à cette époque punk/post-punk. Comme l’une des fondatrices des Slits et guitariste des Mo-Dettes, Kate Corris, le fait remarquer dans le livre, Cut marqua un tournant pour The Slits, et se concentrer uniquement sur cet album n’aurait pas fonctionné, car il y avait eu relativement peu d’écrits sur l’aventure du groupe. Je suis heureuse que les choses aient évolué ainsi. C’est devenu une étude plus complète des cinq années de dingues qu’ont vécues les Slits, fin des années 1970 et début des années 1980. Mais Cut reste encore au cœur de leur histoire.

Don Letts a été le premier à être interviewé. C’est un pote de longue date des Slits et l’homme qui a tenté de « manager l’ingérable » quand les Slits se sont jointes aux Clash sur la tournée White Riot. Alors comme il était là depuis le début, son point de vue était un excellent choix pour commencer. Il m’a ensuite présenté à Tessa Pollitt. Elle était timide mais positive, et elle est rapidement devenue comme la marraine magique et très proactive du projet. Et je lui en serais toujours reconnaissante. Elle a également été ouverte et sereine sur la période la plus sombre que The Slits ont vécue, y compris à propos d’une overdose et des problèmes qu’elle a eu avec l’héroïne.

J’ai rencontré Ari peu de temps après et, par un heureux hasard, elle était au Royaume-Uni pour une tournée solo avec The True Warriors. Elle était tout à la fois adorable, intimidante, tendue et méfiante. Ce qui était compréhensible. Elle m’a dit qu’elle aimerait aussi que j’organise une convention des Slits – comme une convention de Star Trek. J’ai plutôt aimé l’idée de voir rappliquer un tas de gens différents à l’air très sérieux, et au lieu de porter les oreilles de Spock et des accoutrements de Star Trek, ils seraient couverts de boue et auraient des chaussettes dans les cheveux. À l’avenir peut-être… Ari a donné une interview super, comprenant la triste histoire à propos de la façon dont Bob Marley avait d’abord encensé The Slits dans Punky Reggae Party, pour ensuite effacer leur nom quand il a appris que c’étaient des femmes.

Kate Corris, qui a formé le groupe avec Palmolive, offre un aperçu unique et éclatant dans la partie du livre qui raconte leurs débuts. Mais la guitariste qui l’a remplacée, Viv Albertine – que beaucoup finiront par acclamer comme la force motrice du groupe – était censé être celle qui ne voudrait pas participer à cette biographie. Quand Ari lui a demandé si elle voulait réformer le groupe, il y a plusieurs années, c’était hors de question pour Viv. Après les traumatismes qu’ont connus The Slits en essayant simplement de faire leur truc dans le monde des hommes, elle semblait vouloir laisser cela derrière elle. Mais j’ai dû la contacter au bon moment, et grâce à l’ancienne manageuse des Slits, Christine Robertson, une perle, j’allais bientôt manger des toasts et caresser le chat dans la maison en bord de mer de Viv. C’est tombé à la même période où elle a décidé, après toutes ces années, de recommencer à jouer et à écrire. Je l’ai remise en contact avec Tessa lors d’un concert de Carbon/Silicon au cœur de Ladbroke Grove, et elle a ensuite joué avec les « nouvelles » Slits pour deux concerts, avant de faire son truc solo, avec moi, en l’occurrence. Je suis la sorte de Vince Clarke avec un clavier et des instruments jouets, etc…

Il semble que le processus d’écriture de ce livre ait en partie motivé des personnes qui s’étaient brouillées, ou qui pensaient s’être brouillées, à reprendre contact. J’ai trouvé que c’était une belle chose : Viv qui reconnecte avec Ari et Tessa ; Ari qui reconnecte avec Poly Styrene ; Viv qui reconnecte avec Keith Levene et ainsi de suite. Tout cela était très excitant.

Tout a été positif dans le processus, à part quelques moments dingues. Mais à quoi pouvais-je m’attendre ? Il s’agissait des Slits, l’un des groupes les plus chaotiques d’une des scènes musicales les plus chaotiques. Il était concevable que cela puisse prendre parfois des proportions démesurées. Mais j’ai senti passionnément qu’elles méritaient plus de reconnaissance, car la plupart des gens n’ont que partiellement conscience de ce qu’ils ont réalisé.

Après l’écriture de ce livre, je me suis à nouveau inspirée d’elles et de leurs camarades, et j’espère que les gens qui le liront ressentiront le même effet motivant. Je ne dis pas que j’espère que vous allez toutes pisser sur scène pendant un concert, vous rouler nues dans des parterres de fleurs fraîchement arrosés ou forcément réarranger l’ameublement d’un hôtel, mais ne vous gênez pas si vous en avez envie. Mais leur force véritable réside dans leur liberté d’esprit, leur créativité et la détermination qu’elles mettaient pour suivre leur propre chemin et être elles-mêmes sans flatter leur idéaux. Elle essayaient de nouvelles choses avec courage, et joyeusement, avec humour et le sens de la fête, par opposition à la colère. La colère est une énergie, comme le dirait John Lydon, mais c’est rafraîchissant de voir aussi l’honnêteté, l’étrangeté et la pure joie que ces filles avaient en expérimentant musicalement sans peur du jugement – elles ont donné dans le free-jazz, l’improvisation, le funk, l’opéra allemand, et bien sûr le reggae et la musique africaine – et alors qu’elles s’essayaient, souvent naïvement, à mélanger ces influences à leur musique, le résultat donnait toujours un son authentique, qui sonnait souvent comme s’il provenait de l’espace autant que des rues de Londres.

Quand je me suis embarquée sur le sujet, je me suis demandée si j’allais finir par être saturée, mais maintenant, ayant un meilleur aperçu du groupe, je les trouvent encore plus intéressants et inspirantes que jamais – comme c’est le cas pour toutes les personnes avec qui j’ai pu m’entretenir. Même après cette période intense de travail, passée à vérifier, à angoisser, à en perte le sommeil, et des cheveux, je le crains, tous ces personnages donnent vie au livre en technicolor.

Keith Levene, d’ordinaire insaisissable, a été un interlocuteur généreux et éloquent, alimenté par le chocolat de la confiserie d’en-dessous (ils lui ont en donné un grand sac gratuitement – qui savait que les employés du Mrs Kibble’s Olde Sweet Shoppe étaient fans de PiL ?) et il a été d’un grand soutien tout au long de l’aventure, tout comme l’a été l’exubérante Professeure Punk, Vivien Goldman.

Adrian Sherwood a gentiment donné de son temps pour le livre, bien qu’il rentrait tout juste de voyage et qu’il était fatigué par le décalage horaire. J’ai même pu choper Budgie, grâce aux indications de Viv. J’avais déjà essayé de le contacter par l’intermédiaire de quelqu’un d’autre et j’avais fini par penser qu’il n’était pas intéressé. Il s’est avéré qu’il n’avait jamais reçu le message. Et c’est génial que nous ayons pu discuter, car même s’il avait la grippe, il a été un interlocuteur adorable. Et il a présenté un point vue différent, comme quelqu’un étant au départ une sorte de super-fan des Slits qui a fini par enrichir magnifiquement leur la musique de leur disque (sans doute) le plus important. Il a aussi raconté des anecdotes amusantes, comme quand il se retrouve avec les trois filles dans le même lit. On se calme, ce n’est pas ce que vous pensez.

J’ai eu la chance de pouvoir intégrer beaucoup de gens qui étaient impliqués avec The Slits : Dennis Bovell (qui aussi m’a appris comment faire cuire le fruit à pain), Palmolive et The Raincoats qui ont toutes été formidables. Pas tout le monde n’a cependant été amical. Une écrivaine que je respectais énormément a annulé notre entretient, en me cataloguant de « vulgaire sexiste » à la vue d’une des question lui étant adressées : c’est peut-être dû au fait que si elle a rencontrée The Slits à l’époque, c’est parce qu’elle sortait avec un ami du groupe, qui était en tournée avec elles à ce moment-là. Je n’étais pas réellement intéressée dans leur relation en soi – c’est quelqu’un de très célèbre quand même – et j’étais plutôt concentrée sur le temps qui m’était imparti. C’était une réaction excessive pour une question innocente et c’était vraiment dommage. Mais cela m’a permis d’en apprendre davantage sur les gens.

Mick Jones était d’accord pour un entretien, mais nos emplois du temps n’ont malheureusement pas concordé. Chris Blackwell était impossible à joindre, mais je sais maintenant qu’il était occupé à gonfler des ballons et à préparer les gâteaux pour le cinquantième anniversaire d’Island Records.

Tony Fletcher, qui a écrit le livre sur Keith Moon, Dear Boy, fait remarquer que les gens disent qu’écrire un livre c’est comme avoir un bébé, et il reconnaît que c’est comme avoir un bébé et le faire grandir. Je suis d’accord. Une fois mis à l’eau, je prendrais un rhume le surveillant, comme si c’était son premier jour d’école – bien que dans ce cas, je serai plus qu’heureuse qu’un étranger aille le chercher pour le ramener à la maison.